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FESTIVAL D'AVIGNON

Le Cinéma Paradiso de Johanne Saunier et Jim Clayburg tombe en panne.

Je l’ai rêvé. Le Festival d’Avignon l’a fait.  Avec “Erase-E (X) parts 1,2,3,4,5,6“, un collectif d’artistes s’empare de la danse, du cinéma, du théâtre où chacun avec son puzzle crée une fresque dont les éléments s’assemblent sans s’additionner (“effacer n’est pas supprimer, mais reprendre, transfigurer” nous précise la note d’intention). Le regard du spectateur évolue, alors que ses neurones, trop longtemps enfermés dans des cases, se déploient pour plonger dans une troisième dimension.

Ce pari un peu fou a pour chef de file Johanne Saunier et Jim Cayburgh suivi d’Anne Teresa De Keersmaeker, Isabella Soupart, Kurt d’Haeseleer, Georges Aperghis. Avec en prime, le Wooster Group issu de la scène New-Yorkaise. Deux heures de danse, avec des tableaux inoubliables même si le tout perd de sa puissance dès la cinquième partie pour sombrer dans un vide sidéral.

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Pourtant, les premières séquences sont prometteuses. Anne Teresa de Keersmaeker et le Wooster Group nous offrent trois moments d’une beauté saisissante où la danse s’entremêle avec la bande originale du « Mépris » de Godard pour finir par se fondre dans des percussions indiennes. Johanne Saunier est sublime dans sa vulnérabilité où bardée de capteurs, elle doit s’en émanciper pour s’approcher d’une lumière libératrice. Ce maillage entre chorégraphes me propulse au cinéma lorsqu’apparaît dans mon imaginaire Hafsia Herzi lors d’une scène mémorable de « La graine et le mulet » d’Abdellatif Kechiche. Gagné moi aussi par la reliance, je me sens tomber dans cette toile où s’entremêle féminisme, sensualité et fragilité. Je plane, car je surplombe le cinéma d’hier et d’aujourd’hui. En se métissant, la danse d’Anne Teresa De Keersmaeker se déploie dans un réseau imaginaire planétaire. Sublime.
C’est alors que la chorégraphe Isabella Soupart sème sa (mauvaise) graine. Elle nous impose sa chorégraphie (genoux à terre, comme d’habitude…c’est quasiment le recyclage de son spectacle de l’an dernier présenté à Bruxelles!), son acteur et ses lunettes noires de commercial ès globalisation (Charles François). Johanne s’efface presque, écrasée par le dispositif comme si la télévision prenait les commandes. C’est une rupture de sens que les parties suivantes auront bien du mal à rattraper. J’ai le sentiment étrange d’assister à une prise de pouvoir. C’est violent et les rires du public me désarçonnent.
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Il faut tout le génie de Kurt d’Haeseleer pour renouer le fil, sortir de ce cauchemar. D’Isabella Soupart, il retient l’effroyable mécanique métaphorisée par un robot qui filme en hauteur Johanne Saunier, perruque blonde, et drap de bain autour de la taille. L’univers de David Lycnh dans son chef d’oeuvre « Mulholland Drive » (souvenez-vous…« Silenzio »,« Silenzio » !) est magnifiquement restitué et j’entre dans l’inconscient de Brigitte Bardot qui lutte avec la machine. Comme chez Lynch, nous voilà invités à regarder la danse à plusieurs niveaux (un écran vidéo surplombe la scène pour reconstituer l’image du rapport de force vu du robot). Entre inconscient et réel, je lâche, je me perds, je ne sais plus où je suis. C’est hypnotisant, envoûtant. Pendant qu’elle combat, la danse d’Anne Térésa de Keersmaeker la protège.
Sublime.
Tout aurait pu s’arrêter là.
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Les 5e et 6e parties font éclater le maillage. Loin de se fondre dans cette danse multidimensionnelle, Georges Aperghis (fondateur du théâtre musical) complique plus qu’il ne tisse. Elles sont maintenant trois sur scène et j’entends quatre voix. Une langue imaginaire se déploie à mesure qu’elles dansent, mais je n’écoute plus comme si les corps étaient des cases au service d’une rationalité ennuyeuse. J’ai perdu Bardot, Lynch, l’Inde…Qui sont-elles ? La dernière partie de Johanne Saunier tourne à vide. “Erase – E (X)” devient alors un concept dont elle ne sait plus quoi faire. Sa chorégraphie finale écrase le sens où la forme (créer un maillage) ne suscite plus l’émotion, mais la condamne dans un schéma qui se rationalise petit à petit.
Après la cinquième partie, il aurait fallu imaginer revenir à la première, comme une rétroaction positive, seule capable de remettre du sens.

Brigitte Bardot et David Lynch n’y auraient vu que du feu.

Pascal Bély
www.festivalier.net

  ERASE-E (X) parts 1,2,3,4,5,6, de Johanne Saunier et de Jim Clayburg a été joué le 21 mars 2008 au Théâtre de Cavaillon et au Festival d’Avignon les 23, 25 et 26 juillet 2008.

 

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LES EXPOSITIONS

Aux Rencontres Photographiques d’Arles, Christian Lacroix et ses invités.

Quittons un instant Avignon…Cap sur les Rencontres de la Photo en Arles où Diane Fonsegrive nous communique ses impressions. Clic – Clac. 

Qui n’a pas songé un jour, au détour d’une folie du futile, tomber dans la mode? Du chiffon, des accessoires, de jolies personnes, du glamour, surtout du glamour. Et si l’image, si brillante d’une fausse réalité, était tout simplement un monde réfléchi et construit, qui nous initie cette année en Arles à la création d’un univers, sous un oeil maîtrisé, celui d’un certain Christian Lacroix. Enfant d’Arles, c’est aussi dans l’histoire de cette ville et de ses coutumes de vie des deux derniers siècles, que Christian Lacroix a voulu nous introniser à son univers. Il semblait nous dire “pour me comprendre, comprenez Arles“. Alors, à vous paroles d’archives d’Arlésiens, visions de Lucien Clergue et de Frédéric Georges (1863-1933). Racontez-vous !
Bienvenue au coeur de l’intime qui nourrit l’acte créatif, celui qui construit l’artiste. Visitons Christian Lacroix.

Laissons battre le coeur : Alain-Charles Beau.
Des clichés sombres en noir et blanc, classiques par leur esthétisme qui tente de nous introduire sans trop en dire dans le quotidien de travail de Christian Lacroix. Les collages muraux, le détail du bibelot qui enrichit la pensée, et le résultat. La robe, le décolleté, le modèle. L’homme a donné de lui. Et, j’ai fermé les yeux pour mieux me laisser transpercer par la bande de bruits de l’atelier Christian Lacroix. Qui es-tu ? Je t’entends et je te dessine maintenant.

Cloître Saint Trophisme: Richard Avedon, Katarina Jebb, Jerome Puch.

Respirons à pleins poumons. Nous croisons tour à tour Richard Avedon, avec la scandaleuse fable « En souvenir des regrettés Mr. et Mrs Confort » qui signa son génie en 1995, dans un portofolio publié dans le New-Yorker. On se retrouve tous en regard d’un des clichés dans notre inconscient collectif instruit du monde de l’image où nous sommes tous issus. On souffre, mais on adore.
Auscultons le corps. On se détend avec les polaroïds de Jérôme Puch, plaqués sur ce cube noir imposant, qui nous offre un formidable catalogue de la mimique de la photo festive. Au premier regard, on sourit, au deuxième on remarque l’ordre des photos. L’attitude est classée par comportement corporel. Au troisième, on est prisonnier des détails qui dévoilent les personnalités. Le polaroïd témoignerait-il donc du temps fuyant des défilés de haute couture ? Divertissant.

Fermons les yeux : Katarina Jebb.
Grands formats couleur rectangulaires verticaux
Si le propos lugubre, au travers de l’icône religieuse sacralisant la mode, est intéressant, j’ai été déçue de la mise en valeur des oeuvres avec un éclairage tout de même pauvre et un espace d’exposition à moitié vide. A mon sens, une lumière pieuse, tel le soleil en voile direct aurait sublimé le travail sur couleur.

Église des frères prêcheurs: Peter Lindbergh.
L’Eglise des frères prêcheurs est un site arlésien que j’affectionne particulièrement pour les expositions photographiques. Allez comprendre la résonnance du silence, ad repetitam, sur chaque cliché. La lumière grisée si blanche d’un lieu de recueillement. Et, cette année, Peter Lindberg en Dieu païen de la mode, chassé des pages étriquées de magazine pour dompter la pierre par ces regards qui vous avalent, par leur format gigantesque. Noir et blanc. Ces visages surdimensionnés qui scrutent. Ces gens, ces choses, criant leurs personnalités, surplombent nos existences, là, le temps de notre vision. Je suis dans le reflet du cliché et ne vois que ces yeux qui regardent l’abstrait d’ici. Je suis petite et tellement grande, forte de la justesse de la mise en espace. J’adore.

Diane Fonsegrive – www.festivalier.net