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EN COURS DE REFORMATAGE

Lettre ouverte à Ariane Mnouchkine.

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Madame,

Dans une interview diffusée sur le site du Monde, vous demandez au public de se prononcer vis-à-vis de l'utilité de l'art. Vous proposez de donner la parole aux citoyens pour qu'ils décident si l'art est un luxe superfétatoire, ou s'il fait partie des besoins.
Madame, permettez-moi de vous répondre.

En ce dimanche morose, où le ciel et mon c?ur sont si gris, jamais, la fiction, la vie imaginée, et l'émotion, ne m'ont paru aussi utiles, aussi tangibles.
Pendant ces huit heures partagées ensemble à la Cartoucherie pour “Les éphémères“, -car c'est bien de partage dont il s'agit-, vous nous avez pris par la main, pour nous peindre l'humanité, telle qu'elle est. Comme dirait Stendhal, vous avez promené le miroir le long du chemin, pour nous montrer qu'avant de mener à bien des fonctions dans le monde du travail, nous ne sommes avant tout «qu'un tas de petites misères ».
Bien sûr une expérience pareille crée du lien entre des spectateurs unanimes, comme dans la navette de la Cartoucherie ou encore sous la pluie au sortir du théâtre.
Comme à Avignon l'été dernier, le spectacle s'est conclu par une standing ovation générale. C'est pour ce vous nous avez donné aujourd'hui Madame. 
Par vos attentions (petits gâteaux durant les pauses, couvertures pour que l'on n'ait pas froid?) mais surtout par votre génie. Alors forcément, en se levant pour applaudir pendant 20 minutes, les larmes aux yeux et le sourire aux lèvres, on vous a remercié.
Alors oui, les caisses sont vides, la concurrence internationale accrue engendre une compétition entre les Etats, entre les entreprises et entre les gens. Et on peut se dire qu'accorder des crédits à la création artistique est devenu un luxe.
Sauf que, comme le montre Paul Thomas Anderson dans « There will be blood », le capitalisme peut nous faire perdre notre humanité, et qu'il me semble aujourd'hui,  que grâce à vous, je me sens meilleure.

Merci Madame Mnouchkine, merci  le théâtre du Soleil.

Elsa Gomis.
Paris.


Ci-dessous la critique du Tadorne de juillet dernier sur ce spectacle merveilleux:

Sous un soleil de plomb, nous arrivons à 14 heures, au Parc des expositions de Chateaublanc, au sud d'Avignon. L'endroit est laid, angoissant, à l'image d'une ville désertée après un bombardement radioactif. En franchissant l'entrée, nous ressentons déjà que la troupe du Théâtre du Soleil a investi le lieu pour retrouver, après douze années d'absence, le public du Festival d'Avignon. La crise des intermittents de 2003 avait annulé les représentations du « dernier Caravansérail » malgré l'obstination d'Ariane Mnouchkine à vouloir poursuivre le Festival. Je me souviens de son intervention décalée sur France Inter comme le souvenir d'une rupture entre elle et moi, entre elle et la communauté culturelle. Son retour en 2007 signe les retrouvailles avec l'intégrale des Éphémères en deux recueils de trois heures chacun. Toute la troupe est là, investissant différents hangars d'où s'échappent déjà des odeurs de grillades. À l'intérieur, c'est un beau décor entre cirque et théâtre qui nous accueille. La petite scène ovale est entourée de gradins illuminés par des loupiottes. Elles s'allumeront parfois au cours du spectacle, témoin de notre présence et métaphore de notre émerveillement.
J'arrive grippé (38° au compteur), épuisé par les deux spectacles de la veille (Waltz, Garcia) : comment ne pas flancher ? Le Théâtre du Soleil va donc réaliser l'impensable : m'aider à tenir debout jusqu'à 22h30, sans faillir (ou presque!) passant de l'hypnose à la distance, des pleurs au rire, de moi, à nous, à eux, vers l'humanité. À 22h30, le public d'Avignon fait un triomphe de vingt minutes à cette troupe hors du commun. « 
Les éphémères » sont un cadeau, un joyau du théâtre populaire. Deux jours après, en écrivant cet article, toujours la même émotion. Ça monte?
Sommes-nous seulement au théâtre ? Pas si sûr, alors que défilent différentes scènes, toutes jouées sur des minuscules décors sur roulettes. L'ensemble vous projette quasiment au cinéma (quand un tableau se termine par la gauche, un autre déboule par la droite). Tout semble millimétré comme pour signifier la fragilité de l'équilibre social, et la force du lien familial, intergénérationnel et collectif. Le premier acte campe les personnages (à eux tous, ils formeraient un quartier d'Avignon !) dans leur solitude affective, dans leur précarité, leur vulnérabilité psychologique. Les dialogues sont minimalistes, les scènes se jouent sur de minuscules espaces où la lenteur des mouvements évoque une longue plainte compationnelle. Sidérant. Émouvant jusqu'aux frissons comme une caisse de résonance qui entamerait son travail de l'intérieur. Le deuxième acte s'ouvre au collectif (souvent familial), s'éloigne de la complexité des individus, et s'attache à décrire des situations. Les deux derniers actes créent la dynamique, mettent en relief les problématiques, relient les scènes les unes aux autres pour créer une fresque humaine où nous sommes inclus à chaque instant.
« 
Les éphémères » donnent à chaque spectateur un bout de son histoire que Mnouchkine restitue avec génie. Elle produit le mouvement pour que notre inconscient soit de la partie, pour que chaque tableau soit une résonance. Chaque scène concentre l'émotion, mais la scénographie n'oublie jamais de laisser de l'espace pour que le lien entre eux et nous puisse opérer. « Les éphémères » serait le génogramme vivant de chaque spectateur tant nous pouvons retrouver ce qui nous constitue (notre histoire familiale, nos valeurs, nos mythes fondateurs). Mnouchkine nous aide à grandir en nous replongeant dans les petites attentions de l'enfance, celles-là mêmes que nous aurions perdu, mais que nous revivrons une fois vieux. Elle nous permet de dépasser nos jugements de valeur en plaçant tous les gestes de la vie quotidienne dans un contexte plus large car toujours relationnel.
1-5-350x233.jpg Mnouchkine remet la problématique sociale au centre de tout, de notre regard, à l'heure où notre société la fragmente plus que jamais. Tous les personnages sont la France d'aujourd'hui dans ses fractures les plus intimes que la société éclatée révèle, mais étouffe dans les n
on-dits. C'est une pièce d'avenir, car les enfants sont omniprésents. Elle redonne une puissance aux petits gestes quotidiens (apprendre à faire du vélo à un enfant) pour leur donner une force politique dans un contexte ou le chacun-pour-soi fait loi.

“Les éphémères“, c'est l'univers de l'infiniment petit pour devenir grand.

Pascal Bély
www.festivalier.net

?????? « Les éphémères » par le  Théâtre du Soleil a été joué le 14 juillet 2007 dans le cadre du Festival d’Avignon.

Crédit photo: Michèle Laurent.

Le bilan du 61ème Festival d'Avignon, 1ère partie : Edgar Morin, l’artiste associé.

Le bilan du 61ème Festival d'Avignon, 2ème partie : le poids des mots.

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