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EN COURS DE REFORMATAGE

Le très humain “homme approximatif” de Claire Le Michel.

Prendre place dans une salle de spectacle, c'est assister à un moment de communion, où l’alchimie entre l’artiste et nous, public, se produit. “L’Homme approximatif” de Claire Le Michel fait parti de ces instants fragiles, forts, en parole, en geste, en corps.
Accueilli dans le hall du théâtre d’Arles, le public est rassuré quand on lui précise les deux temps du spectacle : le hall puis la salle.
le-michel.jpgDes chaises sont disposées en arc de cercle, tournées vers l’extérieur. Je prends place et j'attends patiemment. Des mots – les pores de la peau, bruits des chaînes – et autres chuchotements viennent à mes oreilles.Une certaine torpeur m’envahit. Le silence se fait peu à peu. La lumière baisse et c’est dans une quasi-obscurité que Claire Le Michel entre en scène. Elle tourne autour de nous, dans le sens des aiguilles d’une montre comme pour arrêter le temps, nous renvoyer au plus profond de nous, à l’état de foetus, d’embryon. Elle chuchote. Ses paroles sont douces. Je ferme les yeux afin de me laisser envahir, submerger par son langage. Puis, tout à coup, ses mots claquent, prennent par surprise, font accélérer les battements de mon coeur. Il y est question de rythme hebdomadaire, de rôles que l’on tient à chaque coin de rue, de mains sur nos têtes, sur les vides au fond de nous dans lesquels nous tombons. Elle court, Claire. Elle court pour rattraper le temps. Elle court dans le sens des aiguilles d’une montre. Elle débite son texte, nous aspire dans son tourbillon, nous dit que l’on a des couvercles sur la tête, que sous l’écorce du chêne, il y a le sang, la vie. Elle court pour nous signifier l’urgence, pour que l’on se reprenne en main. Cette urgence est palpable. Les sons saccadés d’une contrebasse et la voix de Claire plus pressante m’agitent. Et puis, tout se calme, net, pour finalement chuchoter “dimanche lourd couvercle sur le bouillonnement du sang hebdomadaire poids accroupi sur ses muscles les cloches sonnent sans raison et nous aussi
La lumière monte progressivement et nous sommes invités à un ailleurs.
Cet ailleurs est le plateau. De part et d’autre de la scène, nous laissons place au match de boxe que se livre Claire Le Michel et Mallory Patte-Serrano (ex championne de France de Boxe Française). Cette dernière donne corps aux mots de Tzara (poète, essayiste cofondateur du Cabinet Voltaire et un des initiateurs du mouvement Dada). Le texte prend alors une tournure toute particulière. La métaphore de la vie (le combat de boxe, deux corps en lutte) frappe comme une évidence. Mais jusqu’où se battre, alors que nous portons tous “la mort si je meurs c’est la mort qui me portera” ?
La lutte physique entre les deux boxeuses et le combat que mène la contrebassiste avec son instrument, permettent la démonstration de Claire Le Michel :  mettre de la douceur dans nos faits est une nécessité et « l’homme approximatif » ne doit pas oublier que c’est “la terre qui nous sucera la chair”. Même si le combat pour la vie continue, il nous faut ouvrir les yeux, regarder ce qui nous entoure, avoir un regard neuf au quotidien. 
La lumière s’éteint, j’ai envie de serrer Claire Le Michel dans mes bras pour lui dire tout le bien qu’elle m’a fait. Je suis heureux de voir des gens généreux.

Laurent Bourbousson.
www.festivalier.net


?????? “L’homme approximatif – le combat comme acte poétique” de Claire le Michel a été joué au Théâtre d’Arles les 25 et 26 février 2008.


Revenir au sommaire Comment ne pas faire le lien entre cet “homme approximatif” et “l’homme de février” de Gildas Milin?
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Retour aux sources avec Odile Duboc.

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La chorégraphe Odile Duboc n'est plus. Une de ses ?uvres, ?Rien ne laisse présager de l'état de l'eau” m’avait bouleversé en 2008. Je me souviens des lumières de Françoise Michel et de l'état « liquide » dans lequel je me trouvais alors?Inoubliable?Cette danse sensible et éclaireuse va me  manquer?

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Rarement la rédaction d'un article ne m'a autant impressionné. Intimidé, j'écris à partir de ma confusion, sans trop savoir où j'évolue. ?Rien ne laisse présager de l'état de l'eau?, d'Odile Duboc, chorégraphie créée en 2005, est un spectacle pétri d'incertitudes car il interroge nos certitudes. Où va-t-on avec elle, avec eux? Ce titre est une musique qui trotte dans la tête, un air fragile et engagé qui, après une journée de travail épuisante, donne la force de dépasser sa fatigue pour se rendre au Pavillon Noir d'Aix en Provence.
J'y entre, je m'assois et je ne bouge plus. Je reste figé pendant une heure. À leur arrivée, ces dix danseurs sont loin ; je perçois à peine leur visage, mais leur corps s'impose. La scène rouge, légèrement pentue, est l'espace d'une course individuelle où les habits tombent puis changent telle une combinaison de couleurs d'un dessin animé. Ils stoppent. Le groupe, éclaté, fait fusionner les corps avec le sol comme une matière organique qui se mélange à la terre. Mon regard se fond avec eux. Je résiste pour comprendre la mécanique de ce fluide qui se répand. Je contrôle pour figer, pour découper. Il faut lâcher l'intellect sinon rien n'entrera.

C'est alors qu'ils s'avancent, deux par deux. L'un soutient l’autre qui finit par se liquéfier pour tomber à terre. Le mouvement se répète. Je glisse. Mon regard fuit, fixe, balaye, malaxe comme cette matière qu'Odile Duboc réinvente, telle une plasticienne. Une légèreté m'envahit. C'est magnifique comme un tableau de la renaissance; sublime quand ils cheminent hésitants, habités d'une force collective, échappés d'une scène de ?May B? de Maguy Marin. Progressivement, avec peu de mouvements, Odile Duboc transforme le corps en ?uvre d'art, aidée par les jeux de lumière emprunts de religiosité de Françoise Michel. Elle multiplie les petits espaces où les couples sont statues, où le groupe se sculpte pour se mettre en dynamique. L'immobilité devient alors un fluide corporel qui se propage au collectif. Magnifique. C'est ainsi que je change de territoire, où la scène est le liquide amniotique de mon imaginaire, où les hommes dansent comme des centaures, où l'animalité et l'humanité fusionnent et finissent par fluidifier mon regard alors que je voulais conceptualiser. Avec cette ?uvre, les affects sont à distance et me permet d'interroger mon rapport au corps.
Le talent d'Odile Duboc est de nous plonger dans les valeurs collectives du groupe comme espace du corps signifiant. Il n'y a rien de révolutionnaire dans le propos, mais cette interpellation est une cure de jouvence. Au cas où nous aurions oublié que le corps n'est pas une marchandise.
Même si cela coule de source.

 

Pascal Bély
www.festivalier.net

“Rien ne laisse présager de l’état de l’eau” d’Odile Duboc a été joué le 28 février 2008 au Pavillon Noir d’Aix en Provence.