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HIVERNALES D'AVIGNON

Bilan du Festival des Hivernales d’Avignon.

Retour sous forme d’abécédaire sur le festival Les Hivernales d’Avignon. Parce que la danse est une et multiple….

C comme conceptuelle
Imaginez les horizons, le ciel, les nuages et laissez-vous transporter au travers du «Notebook»de Malgven Gerbes et David Brandstätter. Sous forme conceptuelle, leur pièce est l’heureuse surprise de cette édition. Tout comme bon routard, le spectateur prend son envol avec son guide de voyage. Ici, il résume les différents points du déroulé chorégraphique pour nous entraîner au Japon et en Corée. Telles des cartes postales, chaque étape inscrit la mémoire du lieu, du vivre asiatique. Mouvements imperceptibles, tracés de riz, paroles, captations de sons quotidiens et temps suspendus illustrent des images réelles et imaginaires. «Notebook» est un voyage immobile qui donne des envies d’ailleurs.

D comme découverte
Avec les HiverÔclites, le centre de développement chorégraphique les Hivernales permet à sept jeunes compagnies sélectionnées sur dossier de présenter dix minutes de leur création devant un jury. La compagnie Parc a fort justement remporté le prix du jury des professionnels (une semaine de résidence au Ballet national de Marseille). Avec “Stück“, les trois danseurs questionnent notre relation aux mythes, aux mots, aux fondements de notre société. Sans aucun doute une compagnie à surveiller de près. Ezio Schiavulli remporte le prix du public (une semaine de résidence au CDC Les Hivernales). Un ensemble hip-hop fougueux sous fond de polar noir. Un petit regret: l’absence de la magnifique Isabelle Suray de la liste des lauréats.

E comme engagement
La cohérence du festival est d’apporter une vision éclairée et éclairante sur notre contemporanéité. L’engagement a éclaboussé trois propositions, comme un appel à la rébellion des corps.

Avec «Apparemment, ce qui ne se voit pas», Ex Nihilo propose une danse hors les murs. Avec les projections des corps dansants sur des chantiers, aux abords périphériques des villes, Anne Le Batard et Jean-Antoine Bigot convoquent le citoyen. Cette danse ne laisse aucun répit, déborde d’énergie ; elle est un appel à combattre l’immobilisme. Le public groupé est assis au centre de l’espace, et les combattants Corinne Pontana et de Rolando Rocha (magnifique danseur), tournent autour de nous, nous entraînent dans leur sillage. Le mouvement exprime le refus à l’individualisme, interroge la notion de groupe. Sur nos petits cubes en bois, la communauté voyage. Les premières images nous projettent en Asie, pays de lumière, d’où nous entendons des bruits de rue, de klaxons, de paroles. Tout se superpose. Un capharnaüm ambiant stimule l’imaginaire. Les corps dansent, grimpent sur des palissades. Sortir des cases, voir l’horizon. La danse magnifie les chantiers, les hauteurs d’un ballon d’eau. Une certaine rage et urgence transpirent de cette volée joyeuse. Un sacré bordel qui réveille la société devenue amorphe. Et si demain était un autre jour ?

Avec “Harakiri“, Didier Théron appelle lui aussi au combat à mener pour la survie du groupe. Fini l’individualisme de notre société. La force vient du collectif. Elle est communicative. La bande sonore renvoie au rude phrasé chorégraphique, métaphore de notre société. Combatifs, les interprètes tracent sur un plateau inadapté à cette proposition, une danse ne laissant aucun répit. Les boucles hypnotiques se succèdent entrecoupés de soli qui terrassent les danseurs à bout de force. Le leitmotiv, la cadence, les saccades et la gestuelle épurée font de «Harakiri» un combat énergisant.

Avec «Same Same», la compagnie Stylistik tient son pari, celui de partager nos visions des deux continents (européen et asiatique) au travers de nos différences au service du multiculturalisme. Bien que fragile, cette proposition agit comme une étincelle. Abdou N’gom et Ounla Pha Oundom se livre à travers leur culture respective à un dialogue par le hip-hop. Si la bande-son illustre à merveille le propos, elle écrase parfois le discours chorégraphique. On retient les deux magnifiques solos et l’ouverture vers une curieuse danse des chapeaux.

H comme humour
Quand l’humour, au service de sujets contemporains (l’environnement, la place de la femme au Japon et ses relations avec les hommes), est manié avec subtilité, la danse gagne en profondeur et permet une vision asiatique des thèmes interplanétaires. La chorégraphe Uiko Wanatabe (avec «Hako Onna – la femme boîte») et le couple Lee Hyun-Bum et Choi Jin-Ju (avec «Pause Philo») réussissent à parler un langage universel. Ils placent leur réflexion dans une société aux traditions ancestrales pour mieux s’en extraire.

P comme poésie
«Waiting» ou la danse contemplative de Carlotta Ikeda, grande prêtresse du butô. Ce petit bout de femme ouvre sa proposition avec les mots de Margueritte Duras. L’inceste, l’amour fraternel, dictés par la voix de Duras, se propagent comme une onde sismique sur le corps de Madame Ikeda. Les mouvements lents et longs laissent apercevoir le champ poétique. Tour à tour femme enfant, femme toute-puissante et femme âgée, les métamorphoses métaphoriques de Carlotta Ikeda m’entraînent dans une course vitale effrénée. Des pierres suspendues dans lesquelles les âmes des défunts prennent forme, à l’image de l’arbre aux jeunes pousses vertes et à la cime morte, en passant par la lumière toute en clair-obscur alternée puis crue, éclairant les corps sous l’éveil sexuel, Carlotta Ikeda résume une vie. Dommage que le final “bossa-nova” entache cette ode aux corps vieillissant à la recherche du plaisir.

T comme trace
Que sont devenues les propositions dont je ne fais pas état ici ? Disparues pour certaines, en cheminement pour d’autres. Elles continuent d’évoluer, de s’épanouir. Pour garder un peu plus secrètement mon ressenti, je retarde les mots. Parmi elles, «T.H.E. Dance Company» qui m’agite encore aujourd’hui.

Laurent Bourbousson – Le Tadorne.

Festival les Hivernales s’est tenu du 25 février au 3 mars 2012, dans divers lieux