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EN COURS DE REFORMATAGE

Ma quête d’Europe au KunstenFestivaldesArts de Bruxelles.

Ils vont nous aider à penser un autre projet de développement pour promouvoir de nouvelles valeurs. Il est temps. Nous avons quasiment épuisé celles des « trente glorieuses » et nous tournons en rond à vouloir défendre un modèle qui ne crée plus l’énergie de la communication. Les festivals sont donc là pour nous distancier et mettre en sourdine notre toute-puissance. Celui de Bruxelles (le bien nommé KunstenFestivalDesArts) a la bonne idée d’ouvrir la voie du questionnement.

Il est 11h. Nous débutons avec l’architecte et plasticien Filip Berte. Il rêve d’une autre Europe, incarnée dans un lieu, au c?ur du quartier européen de Bruxelles. Il rêve d’une « Maison d’Eutopia ». À la Centrale Électrique, il nous présente la maquette d’un des étages du futur bâtiment. On y entre serein ; on en sort perturbé, agacé parce qu’il remet en question l’utopie d’une Europe en paix. Avec Filip Berte, elle n’est qu’un camp retranché, concentrationnaire,  pour classes moyennes protégeant leur maison individuelle et leur quatre-quatre. Assiégée par les réfugiés, l’Europe développe tout un arsenal policier. Tout n’est que gyrophares, terrain noir miné, papiers d’identité exigés. La maquette remplit donc sa fonction : elle réduit pour percuter. Mais génère-t-elle pour autant du sens ? N’enferme-t-on pas le spectateur dans un paradoxe (penser le « complexe » par la réduction)  afin de lui prendre le pouvoir? On aurait pu attendre de Filip Berte une ouverture, un propos transcendant. Même  la projection d’un film avec pour décor sa maquette, se perd dans un scénario catastrophe. On ne peut décidément pas penser le futur en réduisant le présent.

21h. De la maquette, nous voilà propulsés sur la place du Jeu de Balle de Bruxelles, lieu du rendez-vous du metteur en scène Catalan Roger Bernat, pour « Domini Public ». Munis d’un casque audio, les spectateurs répondent aux questions posées afin de se positionner à droite, au centre ou à gauche de la place. Tel un casting, on nous interroge quasiment sur tout : amour, amitié, pratiques de consommation, souvenirs d’enfance, rites sociaux. Les spectateurs passent d’un camp à l’autre tandis que la musique de Mozart sert d’entracte, mais aussi de mise en perspective.

On se croise (tout le temps), on danse (un peu), on rit (beaucoup) et l’on s’étonne de nos réponses (surtout lorsqu’on nous interpelle sur nos mensonges supposés). Nos mouvements sur la place nous relient, à l’image des communautés d’égos qui tissent la toile d’internet. La communication passe, facilitée par l’utilisation d’un langage métaphorique suggéré par Roger Bernat.

Petit à petit, le spect’acteur émerge et l’on nous invite à jouer un jeu de rôles où se côtoient policiers, réfugiés, personnel de la Croix Rouge. Ainsi, nos valeurs individualistes préparent ce scénario catastrophe, où chacun se protège et se défend pendant que les réfugiés politiques, économiques et « climatiques » affluent. L’Europe de Filip Berte serait-elle de nouveau en jeu ici ? Détail troublant : alors que nous rejoignons un espace derrière un bâtiment, nous sommes réunis autour d’une maquette éclairée, symbole de la place que nous avons quittée. Les questions continuent de fuser alors qu’un film, projeté sur grand écran, met en scène les figurines de la maquette (donc nous-mêmes). Nous revoilà donc spectateurs, à distance, casques sur la tête, mitraillés de questions pour nous réveiller sur la société que nous construisons.

Roger Bernat réussit à nous mouvoir dans l’espace public en semant la  confusion, en provoquant l’introspection par la recherche de nos valeurs fondatrices, en ouvrant notre horizon bouché par l’art du questionnement pour « nous prendre la tête ». En nous remettant au centre, Roger Bernat guide le spectateur à co-construire l’espace public dans l’espace du politique, lui-même relié aux valeurs éducatives de chacun. Comme si nous devions reconstruire notre maison commune, après toutes ces années où le « je » a primé sur le « nous ». Avec l’artiste comme éclaireur. Eutopia ?

22h30. À peine avons-nous quitté la place, qu’une esplanade nous attend. Accolé au Brigittines, structure culturelle bruxelloise et centre du Festival, un immeuble de 11 étages, construit dans les années soixante, proche de la voie de chemin de fer, devient objet d’art par la grâce de l’artiste italienne Anna Rispoli. Il y a foule pour voir se transformer cet édifice en ?uvre d’art contemporain, avec la complicité de ses habitants qui actionnent les interrupteurs de leur appartement. Il est 22h30 et pendant dix minutes, l’immeuble est un écran de cinéma, parsemé d’ombres chinoises, où le rouge et le noir émaillent la toile du peintre tandis que le vert et le bleu éclairent les corps pour le chorégraphe. On applaudit comme lors d’un feu d’artifice.

Elle est donc là, notre maison d’Eutopia, notre envie collective d’un nouveau modèle social.

C’est ici que la maquette nous modélise.

C’est au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles et nulle part ailleurs.

Pascal Bély

www.festivalier.net


Pour retrouver le KunstenFestival 09 sur le Tadorne:

Bruce Gladwin sidère au KunstenFestivalDesArts de Bruxel
les.

Catastrophique KunstenFestivalDesArts.

Au KunstenFestivalDesArts, Federico León: no future.

Au KunstenFestivalDesArts, chercheurs-artistes: le Nouveau Monde.

Au KunstenFestivalDesArts, “plus belle la vie”.

 

 

A lire aussi sur le Tadorne, le Festival des Arts en 2008, 2007 et 2006.

 

Crédit photos:

© Academie Anderlecht – Elke Verheyen