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LES EXPOSITIONS

Le ?Sculpture Projects de Münster? : l’avenir est allemand.

Le ?Sculpture Projects de Münster?, manifestation décennale d'art contemporain, née en 1977, sème dans toute la ville des amateurs qui, plan en poche, cherchent l'Oeuvre comme si c'était celle de toute leur vie. Plus de soixante-dix artistes (dont trente pour cette année), reliés par l'histoire de ce territoire, nous offrent un périple qui vaut, à bien des égards, les voyages à l'autre bout de la planète. Cette ville, quasiment détruite au cours de la dernière guerre, retrouve une histoire par l'art contemporain: cette belle dialogique place le visiteur au coeur d'un processus d'introspection, où l'on pense le futur par le passé (et inversement), où l'on fait ressurgir, à l'image de Münster, des (nos) vestiges que les bâtiments modernes ou les quartiers reconstitués à l'identique ont enfouis.
sp07-wallinger-RO-w2p.jpgC'est ainsi que l'art rapproche les hommes sur ce territoire à l'image du fil de Mark Wallinger (cherchez bien sur la photo!) qui relie les édifices pour former un rond, une frontière quasi invisible entre réel et virtuel: elle délimite ce nouvel espace, prêt à contenir ce processus émergant. Où que vous soyez, vous êtes au centre du monde, comme la gare de Perpignan de Salvador Dali! Et quand au hasard d'une virée en bicyclette, j'aperçois le fil tendu entre deux arbres par un étrange jeu de lumière avec le soleil, je m'étonne d'être heureux, d'avoir repéré la frontière entre un processus et un autre!

 
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Il est d'autres découvertes tout aussi exceptionnelles comme les pierres posées par Gustav Mettzger. Par deux, quatre, voir plus, elles sont contre un mur, une devanture d'une pharmacie, au pied d'un banc public. Elles sont ces pierres qui formaient les gravats des bombardements. Elles sont redevenues des édifices, elles n'existent que par le regard que nous portons sur elles: comme autant de repères dans la ville, elles la redessinent comme un calque sur une feuille de papier dont nous serions l'urbaniste.
Ces pierres, amassées en nous, se transforment en clocher d'église: l'oeuvre de Guillaume Bijl surgit de terre est sidérante de beauté où penchés sur notre passé et celui de Münster, on se surprend à vouloir sauter pour continuer à creuser, ce qu'à oser faire Bruce Nauman, avec sa pyramide inversée, dans le quartier des Universités des sciences. Ce ?square dépression?, au coeur de la terre, vous plonge dans le paradoxe le plus total: pour la gravir, il faut descendre; pour la contempler de haut, on doit se coucher; pour la parcourir transversalement, nous devons la monter verticalement! Sublime moment suspendu au milieu des cohortes d'étudiants chercheurs qui passent là sans nous voir…

Toujours sous terre, la Française Valérie Jouve nous convie dans un passage piéton, sous un boulevard, transformé en salle de projection ouverte aux quatre vents: cet hiver, caméra vidéo sur l'épaule, elle a suivi quatre personnages. Sans paroles, le film hypnotise par l'ambiance qu'il dégage comme si chacun, dans sa solitude, était une partie de la ville. Ici aussi, la frontière entre l'art et Münster est si mince qu'un des protagonistes était près de moi, puisqu'il semble avoir élu domicile dans ce passage. Troublant.
Cette terre de Münster est au coeur du projet de Jeremy Deller. Sur un terrain qui regroupe des jardins familiaux (imposants par leur beauté où tout n'est qu'ordre et couleurs), il notera sur des cahiers pendant dix années tous les événements qui vont s'y dérouler. Ce n'est qu'en 2017 qu'il présentera son oeuvre dont il ignore encore aujourd’hui la teneur. À Münster, l'art émerge dans l'incertitude, et la graine que les visiteurs peuvent planter chez eux accompagnera à distance l'artiste dans ce processus.
Et puisque l'art se découvre en marchant, rien d'étonnant à ce qu'il vous surprenne même sous un pont (the Torminbridge) par temps pluvieux. Susan Philipsz, y a installé des enceintes de chaque côté des berges. Une chanson douce et entêtante se diffuse alors (avec des magnifiques effets d'échos) et le pont devient sculpture, comme un bâtiment immergé dans l'eau à l'horizontale. La pluie amplifie la beauté du dispositif en soulignant ses contrastes. Je reste médusé, vélo à la main avec une envie de plonger pour rejoindre l'autre rive.


Pascal Bély
www.festivalier.net

??????  ?Sculpture Projects de Muenster? a lieu jusqu’au 30 septembre 2007.

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EN COURS DE REFORMATAGE

Au Festival “Mens alors!”, Sylvain Groud relie l’art et le handicap.

CieSylvainGroud-Bataille-intime-DavidMorganti-01.jpgAu c?ur du massif du Trieves, à quelques kilomètres de la petite ville de Mens, une foule compacte se presse à l'entrée de la grange du Percy. Les bénévoles du festival Mens Alors ! indiquent au public que la jauge est déjà atteinte et que les prochains à entrer seront mal assis. Qu'importe ! Les festivaliers s'entassent pour voir “Bataille intime“, le duo de Sylvain Groud et Bruno Bayeux.
Utilisant en guise de rideau d'immenses portes qui accueillent et masquent la lumière au fond de l'espace scénique, les danseurs ont pour unique décor deux chaises et quelques vêtements posés au sol. Gestes du quotidien exécutés de manière hachée. Interruptions, paroles de Roland Topor déclamées de façon tantôt posée, tantôt interrogative, tantôt hargneuse. Il est question d'un meurtre. Le duo s'agite, se repousse, joue en miroir puis privilégie l'asymétrie. Il est question de maladie mentale. Il est question de schizophrénie. J'apprécie la clarté du propos, l'intelligence de la « mise en danse » de Sylvain Groud, je suis ravie. Le reste du public aussi.
Nous retournons donc le lendemain voir une autre de ses créations, dansée cette fois dans le gymnase du collège de Mens. Accueillis dès l'entrée par six danseurs valides, nous emplissons peu à peu le gymnase où nous découvrons tout au long d'un spectacle déambulatoire le travail réalisé avec des danseurs handicapés moteurs. Seuls, en duo avec des danseurs valides ou encore à deux, les danseurs à mobilité différente nous donnent à voir une danse où le regard, la douceur et la joie de donner sont l'essentiel.
Et ces danseurs donnent tellement que la majorité des spectateurs est bientôt en larmes.

16482391.jpg Il est difficile de traduire en mots ce que nous avons vécu. Les danseurs à mobilité différente nous ont montré qu'avec une économie de gestes il était possible de transmettre beauté et émotion. Un peu comme dans le “36, avenue Georges Mandel”  de Raimund Hoghe jouée dernièrement au Festival d’Avignon. Sans pathos et sans compassion, Sylvain Groud fait la démonstration que la danse peut être autre chose que performance physique et technique.
Lors du débat public organisé le lendemain les spectateurs ont l'occasion de dialoguer avec les artistes, de rapporter ce qu'ils ont ressenti et de remercier.
Mens Alors !
se veut un festival d'« Échange et Création ».  Cette allégation n'a rien de mensonger

Elsa Gomis
www.festivalier.net
?????? “Bataille intime” et “De l’art et du handicap” ont été jouées les 9 et 10 août 2007 dans le cadre du Festival “Men’s alors!” .


L’édition 2009 de “Mens Alors!”:

Festival de Mens Alors ! Episode 1 : il n'y a pas qu'Avignon?

Festival de “Mens Alors” ! Episode 2 : attention fragile.

Festival de « Mens Alors ! ». Episode 3 : Oh, mon château !

Festival de « Mens Alors ! ». Episode 4: peut-on héberger Google?

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FESTIVAL D'AVIGNON

Le bilan du Festival d’Avignon 2007.

 1ère partie : Edgar Morin, l’artiste associé.

Pour cette 61e édition, le spectateur a dû chercher la cohérence d’une programmation hétérogène, sans ligne conductrice où la fonction d’artiste associé n’a pas joué pleinement son rôle.

En effet, il fut difficile de cerner le projet de ce festival, écartelé entre les expérimentations (approximations ?) artistiques des « amis » de Frédéric Fisbach et les metteurs en scène confirmés porteurs d’un propos engagé et engageant (Ariane Mnouchkine, Jean-Pierre Vincent,KrzysztofWarlikowski, Guy Cassiers). Est-ce pour cette raison que le Festival fut étonnamment calme comme si le théâtre ne parvenait plus à se faire entendre, d’autant plus que la billetterie bureaucratique et les petites jauges ont privé de nombreux spectateurs de places (107000 billets vendus cette année contre 133 000 l’an dernier et 150 000 en 2002). Cette baisse sensible, est le signe d’un repli, d’un système qui s’auto-alimente (jusqu’à voir des amateurs de la région sur le plateau des « Feuillets d’Hypnos ») alors que le « Off » semble avoir retrouvé sa vitalité avec plus de 700 000 festivaliers !

Le rapport, de 1 à 7, continue d’être ignoré : jusqu’à quand ce clivage, ce mur de Berlin, cette anomalie de la pensée qui voudrait qu’une partie ne soit pas reliée à l’autre pour former un tout ? C’est au spectateur à faire lui-même les liens, à faire pression par son ouverture sur les institutions, pour que des passerelles se créent entre les deux manifestations. 2007 a peut-être été l’année où il a dû faire son propre cheminement, prémices d’un changement progressif de posture.

Il ne fallait pas compter sur la presse pour nous guider : seule la polémique entre Brigitte Salino du « Monde » et Frédéric Fisbach au sujet des « Feuillets d’Hypnos » a fait débat pour mieux masquer l’absence de la vente à la criée des journaux. Ce silence n’annonçait-il pas un désengagement grandissant des groupes de médias à l’égard du spectacle vivant? Cette interrogation fut au coeur de la table ronde organisée le 11 juillet au Cloïtre Saint-Louis par le Syndicat de la Critique à laquelle j’étais convié en tant « qu’outsider » bloggeur (aux côtés du metteur en scène Arthur Nauzyciel, d’Arnaud Laporte de France Culture, de Frédéric Ferney de France 5, Jean-Pierre Leonardini de l’Humanité). Nous n’avons rien appris de ce que nous savions déjà: baisse croissante des lecteurs pour les journaux payants, montée en puissance des gratuits, perte de l’esprit critique, brouillage persistant entre information et communication. « Le culte des amateurs » via les blogs fut dénoncé («qui remet en cause la compétence de la critique»). La place des journalistes au sein des institutions culturelles fut contestée lorsqu’ils bafouent les règles déontologiques de la profession. Deux modèles ont donc émergé: une critique qui doit «résister» face aux pressions économiques en s’appuyant sur la légitimité de son expertise; une approche plus transversale du regard critique (qui pourrait prendre en compte le processus de création d’une oeuvre), des articulations entre journalistes et bloggeurs à créer, une mise en réseau des festivals pour décloisonner les disciplines. Cette table ronde démontrait à quel point le critique doit opérer sa mue, le bloggeur sortir de sa toile, à l’instar du spectacle vivant qui a du intégrer de nouvelles formes artistiques et inventer d’autres liens (plus ouverts) avec le spectateur-sujet (lire à ce sujet l’article de Rue89).
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« Le Théâtre des Idées » (crée il y a quatre ans par l’actuelle direction du Festival et animé par Nicolas Truong de «Philosophie Magazine») fut le prolongement naturel de cette table ronde et plus généralement le lieu pour aider le spectateur à relier par le sens. C’est ainsi que la venue le 17 juillet du sociologue et théoricien de la compléxité Edgar Morin pour évoquer « les résistances d’aujourd’hui » fut un véritable événement: plus de 1000 personnes se sont pressées à l’intérieur du gymnase et au dehors!  Pendant deux heures, nous écoutâmes, médusés, le récit de son parcours de résistant (de 1941, année où il intégra l’improbabilité de la victoire allemande à aujourd’hui où l’improbable n’est pas l’impossible lorsqu’il invoque un nouvel ordre écologique). Résister n’est pas un positionnement défensif, mais une recherche permanente de liens, d’une foi sans faille dans les vertus de l’incertitude.

Cet homme, au regard lumineux, nous invita à s’opposer aux modes de pensée qui réduisent tout au calcul («c’est une forme de barbarie contemporaine», précisa-t-il), de défendre les minorités opprimées («elles sont notre avenir», «c’est aux marges de la société qu’existe la régénération de notre espèce »). C’est ainsi «qu’un système incapable de traiter ses problèmes fondamentaux se désintègre ou alors crée un système plus large telle la chenille qui s’autodétruit pour devenir papillon». Ne pouvait-on pas voir dans cette métaphore deux approches du chaos proposées par le festival : une où le spectateur à parfois eu des difficultés à repérer les processus régénérateurs (« Norden » de Franck Castorf, « Insideout » de Sacha Waltz, « Nine Finger » d’Alain Platel ou « Bleue. Saignante. A point » de Rodrigo Garcia), l’autre où il a dû détruire, reconstruire son rapport aux mots comme dans «L’acte inconnu» de Novarina.

Sur le même registre, « Le silence des communistes » mis en scène par Jean-Pierre Vincent a touché le spectateur comme s’il lui montrait le chemin pour naviguer dans ce chaos (créatif) pour réinventer la gauche. Impératif d’autant plus urgent qu’un nouveau totalitarisme menace le spectacle vivant, où l’histoire pourrait bien bégayer à l’image de dernière scène du magnifique «Méfisto for ever» de Guy Cassiers.

À côté, la nouvelle génération peine à nous proposer un modèle ouvert et trébuche sur des effets de formes où le fond se noie: Gildas Millin avec «Machine sans cible»,  le groupe franco-autrichien Superamas avec «Big 3rd episode, Roméo Castelluci avec «Hey Girl !». Pour ces trois oeuvres, on est étonné, face à une telle audace esthétique, de n’y trouver qu’un propos si plat.

Seuls deux metteurs en scène, Éléonore Weber avec« Rendre une vie vivable n’a rien d’une question vaine » et Genèse n°2, par le Bulgare Galin Stoev se sont peut-être le plus appuyé sur un concept développé par Edgar Morin: l’émergence. En agençant les mots, la vidéo, la musique, le rationnel et l’irrationnel, ils ont créé une oeuvre qui “présente un caractère de nouveauté par rapport aux qualités ou propriétés des composants considérés isolément ou agencés différemment dans un autre type de système”.

C’est ainsi que la pensée d’Edgar Morin a irrigué la programmation. N’est-il pas alors logique, lors des questions du public, de lui dire : « vous êtes l’artiste associé du festival ! ».

 2ème partie : Le poids des mots.

Le metteur en scène Frédéric Fisbach, l’artiste associé du Festival, a fait du rapport au spectateur une question centrale jusqu’à le faire jouer en amateur dans le très controversé « Les feuillets d’Hypnos », 237 poèmes de René Char. Si les résistants de l’époque n’étaient pas des professionnels, les acteurs d’aujourd’hui se sont montrés pour le moins «amateurs» en massacrant ce qui aurait pu être un beau moment de poésie. Fisbach a poursuivi son idée d’impliquer le public en l’invitant à partager les journées de répétition (petit déjeuner inclus avec les comédiens) dans le loft installé sur la scène de la Cour d’Honneur. Mais entre ses louables intentions et la réalité, je cherche encore le sens d’une telle démarche. Certes, les amateurs ont sauvé (ce qui pouvait l’être) des « Feuillets d’Hypnos » ; mais pour le reste? Fisbach a fini par cliver le public (ceux qui ont vécu l’expérience et les autres) jusqu’à commettre un non-sens : pour comprendre son théâtre, il faut s’intégrer dans son processus de création, ingurgiter ses explications pédagogiques, voir les coulisses. Un peu court pour masquer l’absence de talent.

De son côté, Christophe Fiat avec La jeune fille à la bombe, a disqualifié le public en le forçant à écouter son roman, sous couvert de performance, où les arts du spectacle vivant (danse et chant) n’ont été que des faire-valoir. Rodrigo Garcia avec « Approche de l’idée de méfiance » a cru bon s’affranchir d’avoir un propos comptant sur la complaisance d’une partie des spectateurs. Dans le cadre du « Sujet à vif », le danseur Yves Genot est allé jusqu’à jouer avec la frontière (sans la contenir), entre artistes et public avec « la descendance ». Trois créateurs décalés qui n’ont pas compris que la créativité était une démarche constructive…

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Indispensable Théâtre des Idées…
C’est « Le Théâtre des Idées » qui une fois de plus aura remis du sens pour évaluer avec plus de distance certaines propositions artistiques. La philosophe Marie-José Mondzain et le critique Hans-Thies Lehman ont débattu sur «l’éthique, l’esthétique et la politique de la représentation». Passionnants échanges où Lehman a pu développer sa définition du théâtre post dramatique («espace ouvert, en phase avec l’époque, incluant la dramaturgie du spectateur»), où Mondzain a défini avec clarté ce qui fait sens aujourd’hui. Pour elle, « l’oeuvre doit donner la parole, des possibles pour que symboliquement le spectateur puisse intervenir » où « ce qui est reçu est encore plus grand que ce qui est donné ». Dans un contexte où le citoyen est noyé dans les stratégies Sarkoziennes, « Les éphémères » par le Théâtre du Soleil et « Le silence des communistes » par Jean-Pierre Vincent auront incontestablement positionné le spectateur comme sujet, où chacun a pu penser à partir de son ressenti. Ces deux oeuvres ont donné un socle à ce Festival sans quoi une nouvelle crise identique à 2005 se profilait. Sur un autre registre, Valère Novarina avec « L’acte inconnu »peuvent couper la parole » ! Citons « Claire » a rendu aux mots leur puissance de résistance face au rouleur compresseur de l’uniformisation et donné au public la force de croire encore et toujours au théâtre ! Les mots ont donc envahi cette 61e édition et comme le souligne fort justement Marie-José Mondzain, certains «  d’Alexis Forestier ou il aura fallu l’aplomb d’une spectatrice pour signifier notre désaccord avec cette interprétation de Réné Char. L’échange » de Paul Claudel par « Julie Brochen a anesthésié le public par son théâtre bourgeois! « Hypolythe » par Robert Cantarella n’a pas fait mieux avec ce texte du 16ème siècle anéantit par une mise en scène dépassée par des effets de style prétentieux. L’Afrique n’a pas convaincu non plus (on aurait pu attendre plus d’audace de la part du jeune Congolais Faustin Linyekula avec Le festival des mensonges et «Dinozord : the dialogue series III où son théâtre dansé n’a pas décollé du propos. À côté, le solo dépouillé de Dieudonné Niangouna dans « Attitude clando » aura ému par la justesse des mots et la singularité d’une mise en scène qui aura rapproché, le temps d’une soirée, une assemblée de spectateurs autour de la question des sans-papiers.

Au Nord…

Un certain théâtre semble ne plus avoir d’avenir, ne s’inscrivant pas dans une approche de cocompréhension entre acteurs et public et où le texte prend toute la place sans ouverture vers d’autres langages. La jeune garde présentée cet été n’a pas réussi (à l’exception notable d’Eleonore Weber et de Galin Stoev). Au pire, les expérimentations ont transformé le public en objet devant gober, au mieux  nous aurons eu droit à un théâtre consensuel, sans prise de risque et incapable de nous aider à comprendre ce monde global et complexe (“Le Roi Lear” de Jean-François Sivadier, «Richard III» de Ludovic Lagarde, «Tendre jeudi» de Mathieu Bauer ). Autrement dit, on est en droit de se demander si certains metteurs en scène n’ont pas pris le parti d’infantiliser le public.

Ce sont les pays du Nord qui, une fois de plus, ont montré la voie avec brio: : « Angels in América » par le polonais Krzysztof Warlikowski, « Méfisto for ever » du flamand Guy Cassiers et « Nine Finger » du belge Alain Platel. Outre une scénographie à couper le souffle, ces trois metteurs en scène font du théâtre processuel : nous sommes constamment reliés aux acteurs, car nous sommes aussi les protagonistes d’une histoire toujours en marche: le sida avec Warlikowski, le totalitarisme avec Cassiers et les enfants soldats avec Platel.

La danse..in – out.

Mais Avignon aura vu la marginalisation de la danse, repliée dans des bulles jugées trop hermétiques : Raimund Hoghe, incompris, avec « 36 avenue Georges Mendel » ; Sacha Waltz, audacieuse avec « InsideOut » ; Alain Platel, percutant avec «Nine Finger» ; Julie Guibert, sublime dans “Devant l’arrière-pays”. Malgré tout, la danse fut à la marge du projet de cette édition (Fréderic Fisbach n’aura pas eu un seul mot à son égard lors de ses nombreuses interventions). Or, comment comprendre le processus dans un festival, sans son langage? J’ai eu l’impression que les efforts des programmateurs français pour faire une place de choix à la danse, se sont trouvés disqualifiés. Mais surtout, est-ce faire part de modernité que de priver le spectateur d’un langage qui lui donne tant la parole ?

Pascal Bély, Le Tadorne.

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LES EXPOSITIONS

Au Carré d’Art de Nîmes, le Sud se cherche.

Un lecteur fidèle (Octave) nous fait parvenir son regard sur une exposition d’Art Contemporain.

Il est toujours difficile de situer l’intérêt d’expositions accumulatives comme celle-ci avec plus de trente artistes dans l’espace réservé la plupart du temps à des propositions monographiques. Un peu comme aux puces, il faut piocher. Je n’ai ressenti aucune unité, aucune direction, juste la vision d’un éclatement dans tous les sens, de recherches tous azimuts.

J’y suis allé le dimanche 15 juillet: trois pièces video ne fonctionnaient pas! Cinq artistes m’ont particulièrement touché.
nimes-2.JPGDe Lara Favaretto.
Dans un espace plein, que l’on regarde sans y pénétrer, de nombreuses bouteilles d’air comprimé se déclenchent de temps à autre avec un bruit très spécifique… dans le but de faire se déplier une langue de belle-mère, sauf que certaines, sans doute usées et percées ne se déplient plus. Toute cette installation pour presque rien, ou même pour rien, c’est assez fascinant. Plein d’humour mais en même temps pas rassurant, vu la puissance mise en place.

n--mes.JPGDe Paola Pivi (la photo de l’affiche)
A l’heure du faux avec le numérique, elle décide de faire du vrai invraissemblable en transportant deux zèbres dans un décor de montagne enneigé. Le résultat, trois photos dont on reste distant, il en faudrait bien plus pour qu’une image nous interpelle. C’est en lisant la phrase dans le dépliant habituel du Carré (une feuille de 60cm sur 40cm, que j’ai pour une fois gardé sous les yeux pendant toute l’expo, plutôt encombrant) que l’action m’a parue extraordinaire et insignifiante. Amener deux zèbres à la montagne, se coltiner deux gros réels alors que photoshop aurait permis le même résultat sans aucun réel. Intéressant sauf pour les photos au mur, mais y a-t-il un autre moyen de rendre compte de cela ?

nimes1.JPGGiuseppe Gabellone.
Il réalise à partir d’une estampe japonaise (on se demande pourquoi) un bas-relief magnifique… en mousse de polyuréthane.
Une autre pièce de Gabellone, sous forme de photo-témoin montre un meuble-décor (?!) construit-imbriqué avec les objets présents (voiture, bidon) sur le bord d’un trottoir. Objet non-identifié… sculpture, photo, in situ, faux décor, matière envahissante ?

 

Joâo Onofre.
Une video projetée sur un mur dans un espace semi fermé dont on entend le son alentour. Un choeur classique interprète une partition, arrangement du groupe allemand Kraftwerk.
Ce qui donne une polyphonie mécanique, une interprétation minutieuse avec un rythme enlevé d’un bruit de machine, répétitif. Quand la machine devient humaine, l’effet est magique. J’ai adoré !

Jon Mikel Euba.
Quelques jeunes en jean et tee-shirt, dans un terrain vague, à proximité d’une ville, se filment avec une caméra non-numérique avec un objectif très sale. Une fille se laisse manipuler par deux garçons (alors qu’un autre groupe semble faire de même un peu plus loin), ils lui font prendre diverses positions, sans parler, en lui prenant les membres, les hanches, la tête, etc… pour la laisser dans des positions que j’ai cru de sculptures classiques (qui sont, en fait, des attitudes de stars du rock). Ils attendent quelques secondes avant de reprendre leur action en changeant l’attitude du corps du modèle. Celui-ci se laisse faire avec plaisir. La caméra cadre mal la scène, en plus d’être sale, elle coupe souvent les têtes, se retrouve dans un contre-jour sans qualité, paraît se demander ce qu’il faut vraiment filmer. Le son réel de la scène (c’est-à-dire des sons de rien, de pas, de vent) est présent mais est parfois coupé, on ne sait trop pourquoi.
Effet troublant que ce groupe, là, concentré sur une activité plus ou moins claire, et l’image qui en est donnée pas claire non plus, ces corps qui se touchent, activité qui devient sensuelle, à l’image du peintre et son modèle (passif), ou plutôt du sculpteur, ce jeu sans langage.
Je restais là, à les regarder, comme faisant quelque chose d’important, en y prenant moi-même du plaisir.
Finalement, dans ce que j’ai noté, une unité se retrouve, c’est l’inutilité apparente du “faire”, la vacuité, mais le “faire” malgré tout. Le pourquoi peut venir après.

Octave
www.festivalier.net

Où ? Scènes du Sud : Espagne, Italie, Portugal Carré d’Art – Nîmes – Du 23 mai  au 23 septembre 2007.

Crédits photos:

 

(Affiche de l’exposition) PAOLA PIVI, Sans titre (zebre), 2003 Courtesy Galleria Massimo De Carlo, Milano

GIUSEPPE GABELLONE Senza titolo, 1997 Collection FRAC Limousin, Limoges

LARA FAVARETTO Plotone, 2005 Courtesy Galleria Franco Noero, Tor


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FESTIVAL D'AVIGNON

Tous les articles du Festival “In” d’Avignon: les fausses nouvelles formes.

Au Festival d'Avignon, Garcia se carbonise.

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Comment relier « insideout » par Sacha Waltz à « Cruda. Vuelta y vuelta. Al punto. Chamuscada » de Rodrigo Garcia, deux oeuvres vues dans la même soirée ? C'est un exercice d'autant plus délicat que je sors de la première proposition déstabilisé et que la deuxième m'attend sans me donner la moindre occasion de souffler un peu ! Si Sacha Waltz me propose un nouveau positionnement dans ce monde chaotique, Garcia me le sert sur un plateau, avec les bruits, les odeurs et la pensée qui va avec. Mon cerveau n'a plus qu'à se laisser porter d'autant plus que je connais Rodrigo Garcia (peut-il encore me surprendre après « L'histoire de Ronald, le clown de McDonald's » et « Borges + Goya ») et ses propos sur la place de l'humain dans la mondialisation.
Ici en Avignon, le public est sagement assis et le restera. Point de provocation comme en mars 2006 où nous étions un des éléments du décor avec « Borges + Goya ». Point d'humiliation comme en 2004 où les corps n'étaient qu'une marchandise à l'heure de la malbouffe pilotée par McDonald's. Ce soir, Garcia nous propose une (jolie) forme plus classique (le comédien Juan Loriente accompagné des « murgueros » de Buenos Aires, groupe carnavalesque) où la danse, la musique, les effets spéciaux servent la pensée toujours aussi torturée de Garcia sur l'évolution du monde à l'heure de la globalisation. Ici, il prend le temps de ce centrer sur ses personnages, laisse dans un premier temps le groupe s'exprimer comme force de contestation sociale. Le corps n'est plus un exutoire où l'on n’y jette que de la nourriture, mais une forme artistique à part entière (comme si Garcia se découvrait un tout petit peu chorégraphe), quitte à le mettre sous célophane ou créer une ambiance de fin du monde. Il peut alors distiller sur l'écran vidéo ses messages répétitifs, mille fois lus et entendus avec quelques attaques nauséabondes. Il s'en prend à la psychanalyse, thérapie pour petits bobos de bobos. Il catalogue ainsi des milliers de patients dans la case des acheteurs d'Ipod (ceux qui perdent une demie-journée pour choisir le bon modèle). Garcia ignore les raisons qui guident vers l'analyse, mais est-ce si important ? La démagogie ne supporte pas la psychanalyse, celle qui rend les individus autonomes, libre de penser. Garcia préfère asséner les amalgames, profitant du pouvoir que lui confèrent la scène et sa réputation. D'ailleurs, il n'hésite pas à détourner la psychanalyse en projetant sur l'écran vidéo des photos des enfants des « murgueros » (et leur zizi…) pour les faire parler sur leur paternité ! La ficelle est tout de même un peu grosse. Cela dit, il nous a évité le pipi – caca.
Le groupe finit pas s'effacer pour aller prendre sa douche et récupérer des codes vestimentaires plus acceptables. Avec son comédien fétiche, Juan Loriente, Garcia reprend vite la main pour nous décrire un Nouveau Monde qui réagirait de la même manière qu'une vache qui ne retrouverait pas ses veaux, partis à l'abattoir.  C'est drôle, caricatural, enfermant. Alors que le groupe se reforme autour d'un corps qui se carbonise tel un enterrement, je suis stupéfait par cette vision de notre avenir. L'art ne sert que les théories (fumeuses) de Garcia. Il se trouve que la forme a de l'allure. Pour le fond, cette nourriture est un peu dure à avaler, mais finalement facile à digérer.

Au Festival d'Avignon, la défiance envers Rodrigo Garcia.
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Une tortue piégée, caméra vidéo sur le dos, essaye de s'échapper d'un enclos en plexiglas. L'image projetée sur grand écran a la qualité d'une émission de télé ? réalité. Soudain, une jeune fille, à moitié nue, tête en bas, se cogne contre l'image pour tenter d'y entrer. Les premiers rires d'énervement montent du public alors que je m'émeus de la solitude de cette femme. Deux hommes arrivent, et posent des poules sur scène et sur son corps. Déboussolées d'être là (comme nous), elles cherchent où aller. Ils utilisent leurs ailes pour s'y cacher et faire l'autruche. La première denrée alimentaire, le lait, est répandu sur le plateau comme pour délimiter le territoire de la mondialisation. À trois, ils replantent sur du terreau des légumes déjà coupés, métaphore de l'absurdité d'une planète qui épuise ses ressources. Je décide d'entrer dans cet univers foutraque, pour y rencontrer ces trois comédiens aux gestes désarticulés, perdus dans ce nouveau monde. Bienvenue dans la deuxième création de Rodigo Garcia, « Approche de l'idée de méfiance » présentée au Cloître des Célestins. Mais l'intimité a des limites. Très vite, le discours anti-européen refait surface, les accusations contre ses citoyens reviennent comme une rengaine (« nous sommes aisés ; comment pourrions-nous aider les peuples dans le besoin ? »). Ses approches binaires de l'état du monde se répètent et je ressens le mépris de Garcia à l'égard des spectateurs « compromis ». Cette façon verticale d'interpeller, culpabilisante, rend le public quasiment muet à la fin du spectacle. Pour ma part, je finis par n'éprouver qu'une distance polie et le dernier tableau où le trio patine dans le miel (qui n'est pas sans rappeler « Quando l’uomo principale è una donna» de Jan Fabre où danse dans de l'huile d'olive une femme nue) les conduit sur la pente glissante de l'imposture.
À la sortie, je tente un dialogue (impossible) avec certaines spectatrices qui trouvent chez Garcia de quoi conforter leur vote contre la constitution européenne de 2005. La discussion tourne en rond. Le clivage n'est plus entre la droite et la gauche, mais entre une conception ouverte de l'Europe dans la mondialisation et une approche fermée, verticale, repliée sur des dogmes usés. Garcia joue sur ce clivage : il croisera toujours un public paresseux pour gober ce prêt à penser.


« Nord » de Frank Castorf s'explose au Festival d'Avignon.

???? Après le naïf « Tendre jeudi » de Mathieu Bauer adapté du roman de John Steinbeck, le Festival d'Avignon propose quelques heures plus tard au spectateur marathonien, un virage à 180° : « Nord », « une grand-guignolade de Louis-Ferdinand Céline » (en français dans le texte !) revisité par Frank Castorf, metteur en scène berlinois. Nous sommes prévenus dès l'entrée dans la cour du Lycée Saint-Joseph : les bruits de pistolets et aut
res pétarades peuvent abîmer les oreilles fragiles (avec Le Pen au second tour de l'élection en 2002, je me suis habitué aux vociférations). Des bouchons nous sont aimablement offerts : c'est la première provocation de Castorf pour stigmatiser une époque obsédée par le principe de précaution. Soit.
Le décor : longue barre transversale où s'étalent des sigles monétaires (euro, dollar, yen) ; en arrière-plan, rideaux de plastiques gris avec slogan germanique. La société marchande s'affiche pour mieux dégueuler son passé pas si lointain. Les premières minutes de la pièce ne tardent pas à nous jeter à la figure le contexte nauséabond d'une Allemagne dévastée, ruinée, que l'écrivain français Louis-Ferdinand Céline traversait pour fuir la France et dont le roman « Nord » retrace l'épopée.
Nous voilà donc embarqués pour trois heures dans ce wagon gris placé au c?ur de la scène, théâtre du chaos, de l'horreur, sur les voies qui mènent de l'Allemagne à Copenhague. Treize comédiens, tour à tour Céline, officier SS, artiste habité par le rôle de Jésus-Christ (l'acteur Robert Le Vigan !), bourgeois décadents, prostitués, nous accompagnent dans ce voyage où l'argot allemand (souvent intraduisible) et la complexité de la langue de Céline provoquent une traduction française aléatoire et périlleuse. Est-ce si important ? Le jeu des acteurs est époustouflant : ils donnent tout. Tout. Jusqu'à la nausée. Est-ce si grave au regard de ce champ de ruine intellectuel et moral? La farce et le drame s'enchevêtrent dans le récit de Celine, mais conduisent Castorf à ne privilégier qu'un processus : l'autodestruction. À mesure que la pièce avance, les acteurs s'enferment progressivement dans un jeu qui vise à tout casser, à caricaturer à outrance. Mais cette escalade dans le bruit, la fureur et la comédie suffit-elle à nous faire ressentir l'horreur de la guerre ?  Le tiers du public ne tient plus et s'en va, parfois accompagné par les comédiens eux-mêmes, comme un dernier geste de compassion d'Allemands envers des Français qui n'ont pas totalement fait l'introspection de leur histoire. Je reste, car je n'y suis plus. L'autodestruction me met à distance et la mise en scène de Castorf devient le spectacle pour écrabouiller la misanthropie de Céline.
 Mais pour quoi cette pièce ? Qu'en faire pour comprendre l'histoire et notre futur ? Qui suis-je face à cette scène dévastée, à ce wagon de la mort, aux compagnons de route de Céline ? Je ne sais plus. Je n'arrive même plus à applaudir.
Castorf, par Céline, veut-il seulement que je ressente une quelconque empathie ou colère ? Pas si sûr. Céline, à l'image de tous ces livres jetés, écrasés, est à terre. Les Français n'ont plus qu'à tourner la page pour oublier cette farce morbide. Ils en ont l’habitude.

Au Festival d’Avignon, Faustin Linyekula manque la rencontre.

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Le chorégraphe congolais Faustin Linyekula est une belle personne. Je le ressens généreux, sensible, ouvert. Son corps traduit à la fois fragilité et force. Son regard, toujours bienveillant, accompagne sa voix douce et déterminée. Le Festival d'Avignon l'honore cette année avec deux propositions. Après ?Dynozord: the dialogue series III? qui ne m'avait pas convaincu, Faustin Linyekula récidive avec ?Le festival des mensonges? à la salle de Champfleury. Un orchestre, des chanteurs, un bar géré par une association, des bancs tout autour d'une scène délimitée par des néons et des fils électriques posent le contexte de la soirée. L'ambiance est à la fois décontractée, mais concentrée, au coeur d'un théâtre, d'une fête organisée pour le public. Elle s'inspire d'une coutume des paysans de Patagonie qui, une fois par an, se retrouvent une nuit entière pour un concours de mensonges.
Faustin Linyekula s'empare de cette tradition pour son pays, la République du Congo (ex-Zaïre), en Avignon. L'occasion est trop belle pour dénoncer, extraits sonores à l'appui, l'ensemble des mensonges, des crimes, perpétués par une classe politique locale et internationale. Ils sont donc trois danseurs (dont Faustin), une comédienne, un orchestre pour accompagner ces bonimenteurs. La danse, souvent à terre, entremêle les corps. Les néons s'interposent, barrent la route, clignotent comme autant de signaux d'alerte. Tout à la fois matériaux pour faire un feu et fluide électrique, ils envahissent le trio et finissent par l'engloutir. La comédienne évoque sa famille (surtout son père, fonctionnaire d'État) et son désir de voter, mais ses paroles tournent en rond comme un disque rayé d'autant plus que les voix de Mobutu, de Giscard brouillent les messages (c'étaient sûrement leur fonction à l'époque!). Soudain, alors que le trio se perd un peu dans la chorégraphie (sophistiquée) de Faustin Linyekula, la danse s'arrête: le public n'investit pas assez le bar! Or, consommer pendant le spectacle est la seule source de financement de la culture au Congo. Cette interruption, loin d'être anodine, renforce notre position ?haute? vis-à-vis de l'Afrique (n'aurions-nous que celle-là? A qui vont donc les 25 euros de chaque place?). On nous culpabilise, à moins que Faustin Linyekula assume difficilement sa chorégraphie, plus proche de la danse contemporaine européenne qu'africaine. Nous sommes plusieurs à ressentir ce malaise: le contexte du spectacle flotte entre scène de théâtre et fête populaire (pour des blancs?) et finit par brouiller le propos artistique. Pourtant, l'un des derniers tableaux est époustouflant de beauté et de justesse: sur une longue table, avec des poupées cassées et désarticulées, les artistes simulent une rencontre au sommet entre tous ces menteurs. Le collectif finit sous la table, de nouveau englouti. Au lieu d'ouvrir sur un futur possible pour leur pays, ce final signe le désespoir de ces jeunes artistes dont le seul projet est de partir.
Comment pourrions-nous faire la fête avec un telle conclusion? Pour de nombreux spectateurs, la soirée, prévue pour se prolonger, se termine à l'image d'un Festival qui a bien du mal à nous retenir pour débattre collectivement d’autant plus que les habitants du quartier populaire de Champfleury sont cruellement absents. L'occasion était trop belle, tel “le théâtre des idées” organisé l'après-midi, pour transformer ce ?festival des mensonges? en agora populaire sous l'arbre à palabres. Au lieu de cela, chacun repart chez soi pour enfermer à double tour sa vision d'un continent décidément trop loin de nous.
Faustin, revenez! 


La marche funèbre de Faustin Linyekula au Festival d'Avignon.

???? Je suis impatient de cette rencontre avec Faustin Linyekula. Je ne suis pas le seul, car comme me le fait remarquer ma voisine en attendant l'ouverture des portes, « l'Afrique, la danse, Mozart, un chanteur lyrique, la vidéo, cela donne envie ». Je suis plus mesuré, dans la mesure où l'addition des pratiques artistiques ne donne pas to
ujours une ?uvre. Et puis, Christophe Fiat est passé par là?
Pour ma part, je pense à toute autre chose en arrivant au gymnase du lycée Mistral pour « Dinozord : the dialogue series III » de Faustin Linyekula.  Je revois Raimund Hoghe, chorégraphe allemand, lors de son passage à Montpellier Danse. Pendant plus de quatre-vingt-dix minutes, « Meinwärts » reliait l'histoire de l'Allemangne nazie aux morts du sida. Une recherche sur le deuil pour le deuil que Raimund Hoghe restitua avec distance et émotion. Le chorégraphe et auteur congolais Faustin Lynyekula n'est pas encore prêt, mais son travail de deuil est sur les traces de Raimund Hoghe. Pour l'instant, il crée dans un fouillis où tout est posé, où la danse côtoie le texte, la vidéo, Mozart et un chanteur lyrique haute-contre. Tout se vaut pour exprimer la douleur, la colère, l'inquiétude face à l'avenir de son pays. Mais le spectateur peut-il seulement tout recevoir, en vrac, sans un minimum d'articulations ?
Faustin est triste, tel son visage blanc de clown sans nez rouge. Kabako, son ami, disparu pendant la dictature (l'ex-Zaïre), fut enterré avec des inconnus (« Mozart le fut aussi », lui rétorqua le metteur en scène Peter Sellars). Quelques années plus tard, il retourne à Kizangani pour lui donner une digne sépulture . C'est à ce rituel auquel nous sommes conviés avec quatre danseurs, un comédien et un contre-ténor. Telle une procession, les corps traduisent cette marche où, sortis de terre, alignés les uns à côté des autres, ils vont se métamorphoser pour se déployer le temps de réhabiliter les morts, de permettre le devoir de mémoire. Il s'agit de penser le présent pour imaginer le futur. Les rituels  du deuil saccadent la chorégraphie (des lettres cachées que l'on sort d'une malle, la musique de Mozart pour transcender le réel), tandis que le comédien joue brusquement la comédie pour se plaindre du spectacle auprès du public (salutaire mise à distance). Un reportage sur le rêve des Congolais, l'enregistrement audio d'un ami toujours emprisonné, la danse hip-hop de Dinozord s'ajoutent comme autant de pièces d'un puzzle que l'on peine à rassembler.
Tel un patchwork vivant du souvenir, « Dinozord : the dialogue series III » crée un lien trop distant avec le public. Il ne hiérarchise pas assez: Mozart est au même niveau qu’un reportage vidéo (où les paroles des habitants ont été entendues maintes fois ailleurs). Les séquences se suivent comme des petits cailloux qui seraient semés sur le chemin du deuil et nous sommes derrière, en queue de cette procession. Je veux bien me laisser guider, car ces acteurs sont beaux, que Faustin est profondément engagé (il est à la fois aux commandes de son ordinateur dans l'ombre et sur scène pour ne pas qu'il s'oublie) mais je me sens observateur d'une ?uvre politique alors que les occidentaux sont directement concernés par l’avenir de ce pays. Tout se bouscule comme si l'art ne pouvait nous aider : il est lui aussi pris en otage d'un dispositif scénique trop sophistiqué pour exprimer une histoire à fleur de peau.
Le théâtre aurait pu être une belle sépulture pour Kabako.

La fille collante de Roméo Castellucci au Festival d’Avignon.

??? Je m'obstine à vouloir comprendre l'univers de Roméo Castellucci. Découvert en 2005 lors du festival d'Avignon avec «Berlin »et « Bruxelles », revu au KunstenFestivalDesArts en 2006 avec « Marseille », je me sens à côté, rarement enthousiaste, mais toujours curieux. Cette obstination est une quête d'un absolu, de l'objet perdu comme si mon inconscient poursuivait l'aventure d'année en année.
En 2007, Avignon nous propose « Hey Girl ! » à l'Église des Celestins vers une heure du matin. Le choix du site et du moment n'a rien du hasard : Roméo Castellucci a une haute idée de son travail pour que la fatigue des spectateurs et l'aura du lieu produisent leurs effets. A deux heures trente du matin, les rues désertes d'Avignon sont à l'image de ma vision : je ne vois rien et ne ressens plus grand-chose. « Hey Girl ! » est une injonction paradoxale : pour en parler, ne rien dire ; pour voir, écouter ; pour écrire, projeter le film de cette soirée.
Deux jours après, rien ne sort, tout est dedans comme un processus où je crée un rapport à l'art, où se construisent de nouveaux liens entre la scène et ma place de spectateur. Roméo Castellucci interroge ma perception de l'art, du symbole. Il déconstruit (à l'image du premier tableau où le corps émerge d'un chaos gluant, telle une naissance) pour que je puisse relier à ma guise les différentes scènes. Il y a donc un décalage entre la réactivité du blog (qui impose d'écrire rapidement de peur de perdre le processus) et l'?uvre de Castellucci qui demande du temps. Il y a d'ailleurs un élément étrange : tout au long de la représentation, je n'ai cessé de revenir au point de départ à savoir scruter la glu rose qui dégoulinait lentement de la table comme si tous les autres symboles proposés (et Dieu sait qu'il n'en manquait pas !) s'inscrivaient dans la temporalité de cette glu. Je peux donc écrire sur cette table?mais pour le reste ?
Trois jours après, « Hey Girl ! » semble devenir une ?uvre mineure où des images «flash » ressurgissent comme un diaporama où plus grand-chose ne se relie. Le sort de cette jeune fille, blonde et au look ado, dépend de beaucoup trop de symboles pour que je puisse y trouver ma part de vérité. Plongé dans une esthétique qui le dépasse, Castellucci a peut-être oublié qu'à trop jouer avec les formes, le sens se dilue. La glu continue de s'étaler dans mon cerveau comme si cette renaissance poursuivait son travail.
Je crois malgré tout à la force des symboles  (une église, une heure du matin) pour accepter de n'avoir pour l'instant plus rien à écrire, mais tout encore à relier.

Au Festival d’Avignon, le Roi Lear est déjà dépassé.

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C'est le dernier spectacle de mon aventure festivalière. Je ne ressens pas la tristesse de l'an passé mais plutôt un soulagement comme si cette 61e édition, au parcours chaotique, finissait par me lasser, d'autant plus que « Nine Finger » vu quelques heures auparavant, m'a laissé sans voix et avec peu d'énergie. A quoi bon ce Roi Lear mis en scène par Jean-François Sivadier pour quatre heures d'un drame shakespearien ? C'est sans compter sur cette troupe qui sait fidéliser son public.
« La vie de Galilée » présentée au Festival en 2005, avait connu un joli succès d'estime au c?ur de la programmation contestée de Jan Fabre. Deux années plus tard, « Le Roi Lear » reprend les mêmes recettes : comportements d'observateurs des comédiens alors que le public s'installe ; prolongement de la scène jusqu'au fond des gradins ; positionnement inchangé des acteurs dans la hiérarchie des rôles ; reproduction quasi identique de la mise en scène. Bref, je n'ai plus qu'à me laisser aller d'autant plus que « Le Roi Lear » emprunte un peu trop (facilement) les effets du théâtre de guignol, agréables en cette fin de festival. Le divertissement est total : je ris, j'applaudis des deux mains d'autant plus que Norah Krief (le fou) et Nicolas Bouchaud (le roi Lear)  portent à bout de bras le premier acte. Euphorisant !

La deuxième partie ne tient plus la distance. À la déchéance du Roi s'ajoute une scène qui se fragmente progressivement (le décor, sur roulettes, ouvre de nouveaux espaces que le jeu des acteurs peine à occuper). L'orchestre, auparavant positionné en coulisses, est visible sans que l'on en comprenne la raison. Mais surtout, Stephen Butel (Edgar) et Christophe Ratandra (une des filles de Lear) manquent cruellement de crédibilité dans leur rôle: quasiment travestis (l'un sous la boue, l'autre avec une perruque), ils assument difficilement ces transformations (jusqu'à frôler la caricature). L'ennui gagne et certains spectateurs ne tiennent plus la distance à une heure du matin. Jean-François Sivadier montre là ses limites dans le passage de la tragi-comédie à la tragédie. Il cherche, tâtonne, à l'image de ce décor roulant sur une scène glissante alors que seule la scénographie prend de l'ampleur à mesure qu'avance le drame (magnifiques jeux de lumière).
Je me surprends à me lever pour applaudir la troupe. Il est quasiment certain qu'à ce moment précis, je salue le divertissement et ma performance d'avoir réussi le pari de ce 61e Festival d'Avignon: devenir le ?spect-acteur? si cher à l'artiste associé, Frédéric Fisbach. Pour le reste, je m'étonne du décalage entre le théâtre de Jean-François Sivadier, de Ludovic Lagarde avec celui de nos voisins flamands, allemands et polonais. Il est vrai que ?Le Roi Lear? et ?Richard III? sont sûrement compatibles avec le projet de Christine Lagarde, actuelle Ministre de l’économie et accessoirement de la culture.

Au Festival d'Avignon, Richard III rate la marche.

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« Richard III » au Cloître des Carmes divise (calmement) le public. Que penser de cette adaptation libre de Peter Verheslt, mise en scène par Ludovic Lagarde et interprété dans le rôle de Richard III par Laurent Poitrenaux ? À vrai dire, je me sens un peu vide pour évoquer ce que j'ai vu. Tout au long du spectacle, je suis resté à distance comme si tous mes sens étaient sollicités pour observer la scénographie (beaux effets de lumière sur teintures rouges), les costumes (inspirés par la période disco), les jeux des acteurs (où l'on hésite entre un film de Tarantino et un soap opéra gay).
Ce « Richard III » est très actuel : rythmé comme un zapping télévisuel (comment s'attarder sur la psychologie des protagonistes ?), il n'habite que très rarement la scène dans sa largeur pour préférer les petits territoires comme autant de vignettes d'un album photo numérique. Ces espaces confinés privilégient les postures mécaniques donnant à ce drame shakespearien les formes d'un jeu de Lego. Laurent Poitrenaux est à son aise pour se déployer, avec brio, panache, charisme. Sous certains aspects, il pourrait ressemble à Sarkosy quand gestuellement il ramène tout à lui. Mais son déhanchement un peu trop voyant, réduit cette hypothèse bien qu'il n'est pas interdit de penser que le goût du pouvoir et certains penchants peuvent aller de pair! On ne s'ennuie jamais dans cette adaptation, car nous connaissons les codes de cette mise en scène, pour les avoir vus ailleurs. Ils relèveraient presque de notre culture.
Alors, je m'interroge ! Pourquoi ne pas être allé au-delà de ce déjà vu pour plonger ce « Richard III » dans le bouillon chaotique de nos sociétés mondialisées. Quitte à utiliser avec brio le langage de la modernité, Ludovic Lagarde aurait pu choisir une adaptation plus ambitieuse. Je me surprends à quitter le Cloître un peu dépité, ni triste, ni gai, juste un peu déçu de n'avoir rien appris du théâtre. Après « Les éphémères », « Le silence des communistes », « Angels in América », « Méphisto for ever », je m'étais habitué à devenir un spectateur actif. Ce soir, je me sens un peu dépourvu, à moins que je m'interroge sur le sens de la programmation du Festival.
Réponse dans quelques jours.

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FESTIVAL D'AVIGNON

Tous les articles du Festival “In” d’Avignon: la bande à Frédéric Fisbach échoue.

file-2419W-copie-1.jpgAu Festival d’Avignon, la recherche décomplexée de Gildas Milin.

??? C'est un groupe de sept acteurs, circulant dans un environnement tout blanc, où sur les murs des photos et dessins de papillons sont posés telles des radiographies (de notre métamorphose en chenille ?). À terre, des canettes de bière au graphisme papillonné forment une ?uvre d'art contemporain. Avec « Machine sans cible », l'auteur et metteur en scène Gildas Millin soumet sa troupe à une expérience grandeur nature devant un public dont on ne sait plus à la fin ce qu'il fait là… Il s'agit de disserter entre amis sur « l'amour et l'intelligence ». Magnifique trouvaille que celle de proposer au groupe une telle reliance : l'irrationnel à la pensée, l'individuel au collectif, le passionnel à la construction. Nous pourrions égrainer à l'infini les combinaisons possibles. Il n'y a donc rien d'étonnant à voir le groupe élaborer des stratégies d'évitement pour contourner la question (ils en font des tonnes et finissent par lasser un peu). Le leader se prend lui-même les pieds dans le tapis et même s'il paraît touchant de naïveté, on aurait préféré qu'il fasse preuve d'un peu plus d'intelligence dans sa manière d'accompagner l'équipe. Millin semble lui aussi contaminé par ces effets de scène plus proche du café théâtre qui n'apportent pas grand-chose, si ce n'est de remplir du vide.
Il faut donc attendre (cela fait peut-être parti du processus) pour que les acteurs dévoilent leurs intentions. Inviduellement, ils tentent de répondre à la question et entrent quasiment tous dans un état de confusion où le bégaiement fait langage, où la transe communique sur l'émotionnel. Aucun n'est ridicule, mais Millin (présent sur scène) contrôle en positionnant les autres acteurs comme spectateur du solo. J'ai l'étrange sensation qu'il y a un écran entre nous et ce qui se joue. Alors bien sûr, la langue déconstruite de Millin n'est pas celle de Novarina. Il faut attendre que le corps parle pour prendre la mesure du chaos. C'est la talentueuse danseuse et comédienne Julia Cima (repéré aux Hivernales, chez Boris Charmatz) qui donne à son solo une puissance phénoménale : son corps traduit l'articulation entre « l'amour et l'intelligence ». Magnifique.
Malheureusement, la danse va progressivement s'effacer pour faire place nette au robot. Celui-ci pourrait-il réagir aux messages mentaux d'amour en modifiant sa trajectoire ? Le groupe tente l'expérience?à chacun de se faire sa réponse. L'irrationnel au c?ur du rationnel méritait un texte plus travaillé plutôt que ce «n'importe quoi » censé être en soi un acte porteur de sens. Je m'ennuie ferme jusqu'à l'imprévu : la petite amie d'Adrien (joué par Milin) vient d'avoir un accident de voiture. Le groupe fuit, vers à l'hôpital. Seul, il danse, crie, proche de la folie et de la raison. C'est un très beau numéro d'acteur, mais qui n'ouvre pas comme si Gildas Milin se perdait dans son dispositif, dépassé par ce qu'il produit. Je reste en rase campagne, incapable d'applaudir cette performance d'acteurs, dépité face au résultat alors que « Machine sans cible » porte en elle les ressorts de l'intelligence. Au final, une ?uvre « ovni », expérimentale, assumée. Pas sûr d'y voir plus clair à l'heure où l'amour se débat dans une société numérisée, ipodée, portabilisée à outrance. On patine, mais reconnaissons à Gildas Milin de mettre en scène avec créativité ses recherches d'artistes. 

 

Au Festival d’Avignon, Superamas superpose.

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Au gymnase Aubanel, le collectif franco- autrichien ?Superamas? propose dans une indifférence polie ?Big 3rd episode?. Cela aurait pu faire l'événement tant le style de cette proposition est étonnant, mais je cherche encore sa finalité. Je n'oublie pas que nous sommes au Festival d'Avignon.
Tout commence par une jolie chanson et les frontières se brouillent déjà. Certains spectateurs tapent dans les mains, d'autres ne bougent pas dans l'attente qu'il se passe quelque chose. Entre fond et forme, je choisis de rester à ma place: j'observe et je n'ai nullement envie de me laisser manipuler par des effets de style plutôt vains alors que je suis matraqué en longueur de journée par la publicité et autres pressions médiatiques bien pensantes. ?Superamas?, collectif composé de quatre jeunes hommes et quatre (très) belles filles entreprennent donc de nous aider à réfléchir sur les vanités de notre époque. Pour cela, ils jouent en play-back les dialogues débiles de séries américaines qu'ils répètent, entrecoupées d'un film où le psychiatre Boris Cyrulnik évoque le lien amoureux dans le couple, d'un feuilleton sur la tournée américaine du collectif pris dans les filets d'une secte, d'un texte de Jacques Derrida. Ce zapping vise à brouiller les pistes (où sont le réel, la fiction, le médiatique, le théâtre?), à mettre en réseau des champs artistiques habituellement cloisonnés.
Mais ?Superamas? se piège lui-même: pour dénoncer la perte du sens de nos sociétés ?marketing?, il utilise les mêmes ficelles qui justement nous le font perdre! ?Big 3rd episode? propose une belle scénographie qui fait écran (c'est le moins que l'on puisse dire) à une réflexion globale sur la place de l'art dans un monde globalisé, en perte de repères idéologiques, où la philosophie ne sert même plus à élever les consciences. En ouvrant pour multiplier les angles de vue, ?Superamas? pense que  le spectateur peut tisser lui même les liens porteurs de sens. Outre le fait qu'il surestime nos capacités de reliance dès que nous sommes happés par des jolies formes (sic), il suggère peu pour dépasser le paraître et la vacuité de l'esthétique. À eux seuls, Cyrulnik et Derrida n'ont jamais fait une oeuvre d'art, même reliés dans un réseau créatif!
Il ne suffit donc pas de dénoncer joliment, encore faut-il créer ces sublimes transpositions qui font parler d'elles, au-delà du Festival d'Avignon.

« Tendre Jeudi » par Mathieu Bauer au Festival d'Avignon : “tournez manège !”

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Premier spectacle, première canicule, premier bide du Festival d’Avignon. L'équation est imparable. Et pourtant, « Tendre jeudi » d'après le roman de John Steinbeck et interprété par le sympathique « Sentimental Bourreau » de Mathieu Bauer a de quoi séduire. La scène est à l'articulation d'un concert rock, d'une projection cinématographique et du théâtre de rue : tout est en place pour positionner le spectateur au c?ur d'un enchev
êtrement. Au final, il reste collé au ras du sol. 
Nous sommes en Amérique, après la seconde guerre mondiale, dans une petite rue d'un port de pêche, « la rue de la sardine ». C'est une communauté qui vit à la marge où solidarité, combines en tout genre, prostitution et recherche scientifique se côtoient pour former une belle fresque humaine. Doc, le personnage principal, est en proie au démon de la solitude affective que ses travaux sur les poulpes, serpents et autre animaux gluants ne peuvent combler. La rue se mobilise pour que Suzy, jolie fille fraîchement débarquée et prostituée débutante, succombe au charme de ce scientifique hors norme pendant que le groupe lance une tombola douteuse pour lui offrir un nouveau microscope. Pour nous restituer l'atmosphère de cette Amérique, Mathieu Bauer ponctue l'histoire de morceaux musicaux bien choisis, mais peine à trouver les articulations qui permettraient à « Tendre jeudi » d'être une pièce décalée et innovante. Je me surprends à attendre patiemment qu'il se passe quelque chose.
La mise en scène est lourde : elle ne parvient pas à reconstituer le groupe, ni la complexité des individus. Elle flotte, tâtonne, balade le spectateur d'un bout à l'autre de la scène à la recherche du sens. Tout est joué au premier degré (la rencontre amoureuse) et l'atmosphère devient pesante, niaise et nous fait oublier le contexte social et politique de l'époque. C'est lisse, aseptisé à l'image du jeu des comédiens qui endosse difficilement leur rôle d'acteur ? chanteur.  Il faut attendre la dernière partie où Mathieu Bauer transcende le roman de Steinbeck pour en faire une ?uvre théâtrale. Ironie du sort, c'est le cinéma qui l'aide à donner du relief à ses personnages où, projeté sur l'écran, chacun expose sa stratégie pour rapprocher les deux tourtereaux. C'est le comique de situation (où deux comparses se lavent à la bière dans une minuscule cuvette) qui procure la mesure du potentiel de Mathieu Bauer à faire du théâtre, appuyé par des dialogues qui font mouche.
On est finalement troublé d'être gagné par l'ennui alors que tout est en place pour relier deux époques : celle de Steinbeck, celle d'aujourd'hui, paupérisée par la politique de Bush.
Tendre jeudi” est une pièce sentimentale et pas tout à fait bourreau?

Au Festival d’Avignon, “L’échange” poussiereux de Julie Brochen.

?? Le Cloître des Célestins accueille Julie Brochen et son Théâtre de l'Aquarium pour « L'échange »  de Paul Claudel. Le décor fait de planches, de bidons, de tapis et de linges étendus sur une corde, évoque la précarité. En fond de scène, un étrange musicien (Fréderic Le Junter), crée un environnement sonore à partir d'instruments pour le moins originaux, tel un scaphandrier plongé dans les profondeurs obscures de la musique contemporaine. À lui seul, il va donner à cette pièce ennuyeuse les raisons qui justifient sa programmation dans le Festival d'Avignon. Car, pour le reste?
Deux couples (Marthe ? Louis Laine / Thomas Pollock – Lechy Elbernon), socialement et culturellement différents, vont s'affronter lors de jeux de séduction et de pouvoir, où alliances et coalitions brouillent les cartes pour mieux les redistribuer. L'argent sert de monnaie d'échange pour posséder l'autre, mais conduit le quartet à sa perte. Nous sommes au c?ur d'une tragédie jouée avec les rites d'un opéra à partir d'une mise en scène aussi lourde que le poids d'un secret. J'attends patiemment que la pièce se termine pour quitter au plus vite cet espace clostrophobique. Tout est incohérent : à l'intensité du drame, Julie Brochen y répond par une distance physique incompréhensible entre les acteurs (la scène est si longue que notre regard ne suffit même pas pour suivre les liens). Tout se joue aux extrémités du plateau, rarement au centre, d'où l'étrange sensation que l'?uvre s'incarne « à la marge ».  Le Cloître est utilisé pour produire des effets « sensationnels » en totale contradiction avec le décor comme si Julie Brochen hésitait entre une scène de théâtre et l'espace d'un opéra ! Dans le rôle de Lechy, l'actrice Cecile Péricone habite laborieusement le rôle de la rivale réduite, par des effets de voix appuyés insupportables, à une méchante commère. Les autres rivalisent de gesticulations pour donner de la consistance, mais je les ressens vide de l'intérieur. Ce quartet ne fonctionne pas : je ne vois ni les couples, ni les amants. J'assiste à des chemins parallèles qui ne croisent jamais. Le tout est tellement à distance que mes affects le sont aussi, restreignant mon écoute aux mots de Claudel, noyés dans le jeu rigide des comédiens.
Le tout est figé, ampoulé, ennuyeux comme un repas dans une bonne famille bourgeoise. J'entends le travail de Julie Brochen, mais je ne trouve pas d'engagement chez les acteurs comme s'ils étaient à côté pour scruter les réactions du public à leur jeu égocentré.
« L'échange » s'avère être une pièce à sens unique. J'ai connu des théâtres plus circulaires.

Le Festival d'Avignon, espace d'expérimentation raté du futur ?104? de la Ville de Paris

?? La Maison Jean Vilar propose deux expositions: au rez-de-chaussée, un espace est dédié à Fréderic Fisbach, l'artiste associé. Au premier étage, une installation pour célébrer le 60e anniversaire du Festival d'Avignon par une jolie série de portraits suspendus dans le temps et la projection d'un film sur Jean Vilar. Entre les deux, un escalier. C'est tout. Pas de pont, ni de passerelles. La Maison est fragmentée. Pourtant, Fréderic Fisbach est un conteur d'histoire (il aurait pu au moins nous raconter son parcours de festivalier au fil du temps). Il préfère accrocher sa prose dans des cadres vissés au mur, mettre un lit au centre (pour s'y coucher? Devant tout le monde?). Une installation nous permet de marcher sur des petits coussinets en caoutchouc et nous asseoir (ou s'allonger) pour écouter avec des casques les explications de Fisbach sur la genèse de ses pièces, sur ses tournées…L'endroit est idéal pour se reposer, mais vide de tout contenu. Quel peut bien être le sens de cette installation qui ne relie rien, ne suggére rien si ce n'est de la radio en conserve? En sortant, je suis un film sur la construction du ?104? (un lieu d'art pour tous de la ville de Paris). Aucun intérêt. Aucun.
Je quitte la Maison Jean Vilar pour le gymnase du lycée Mistral où Robert Cantarella (co-animateur du futur 104!) propose ?Hyppolyte? de Robert Garnier . La jauge est minuscule (à peine 50 spectateurs). En entrant, j'ai la surprise de me trouver à nouveau dans un appartement (après le loft dans ?Les feuillets d'Hypnos? et le plumard de la Maison Jean Vilar, je me lasse de cette proximité!). Quelques casques sont posés sur les sièges, mais pas assez pour tout le monde (on y écoute la voix des acteurs accompagnée par une guitar
e électrique). Le musicien est d'ailleurs présent devant son ordinateur (je ne verrais jamais son visage) et un technicien filme la pièce (où il sera possible de la visionner sur grand écran dans une salle adjacente!). Vous l'aurez compris, nous sommes face à un déluge de moyens. Mais servent-ils au moins une recherche autour du théâtre? Donne-t-il au texte de Garnier (c'est une langue du 16e siècle) une force, une ?méta- compréhension ?? À moins qu'ils ne permettent aux comédiens de poser un contexte si porteur qu'ils innoveraient dans leur jeu sur scène (ou sur le lino, c'est au choix)?
Rien de tout cela. ?Hyppolyte? est ennuyeux, mal interprété (Nicolas Maury, déjà remarqué dans ?les feuillets? est toujours aussi insupportable à écouter), où les objets de la vie moderne (un micro-ondes) ne servent strictement à rien si ce n'est à occuper un espace laissé vide par des comédiens qui clame leur texte avec application (c'est quand même une performance). Ils sont desservis par une mise en scène clostrophobique, entravée par le mobilier d'Ikea et surtout gêné par la présence d'un chien qui se contente de leur courir après (le sens m'échappe à la même vitesse que l'animal). Fatigué par ce théâtre prétentieux, je ne pense qu'à partir. Impossible. J'ai peur du chien et cela se voit. Je me contorsionne, ouvre un livre, penche la tête en avant, en arrière. Je souffre. Et j'ai toujours peur de ce chien pas du tout sympathique. Pourquoi n'ai-je pas de casque? A quoi rime cette discrimination? Comme vous le constatez, mes questionnements volent haut…
Ainsi, je deviens le spectateur ? acteur dont rêve tant Fréderic Fisbach.
En partant, je n'ose pas lui dire à quel point je me suis trouvé convaincant dans mon rôle.
Je cavale vers la sortie de peur de tomber sur le maître-chien.

Christophe Fiat, performeur très fuck  au Festival d'Avignon.

? L'écrivain Christophe Fiat se cherche. À la question « êtes-vous un écrivain ou d'abord un performeur ? », il répond : « Je suis un écrivain et je fais des performances? Performance est le seul terme que j'ai trouvé pour dire comment je lis mes textes sur scène en les accompagnant de sons venus d'une guitare électrique ». La confusion conduit-elle au talent ?  Pas si sûr…
Afin d'aider Christophe Fiat dans sa recherche, voici quelques pistes :
Dominique A est un chanteur. Ses textes « littéraires » sont accompagnés de guitares électriques majestueuses. Il lui arrive de danser sur scène. C'est prodigieux. Il ne se proclame pas performeur et pourtant…
Les correspondances de Manosque se déroulent à la fin de l'été et nous proposent des concerts littéraires de toute beauté (animés depuis deux ans par l'écrivain Arnaud Cathrine). J'ai pu assister à de vraies performances de chanteurs rock (Florent Marchet, Armand Méliès, Claire Diterzi) où l'engagement dans une approche pluridisciplinaire de la littérature est visible.
En 2005, le Fesitval d'Avignon nous permettait aux spectateurs d’approcher la performance comme forme artistique à part entière. Marina Abramovic, Jean-Lambert Wild et d'autres ont réussis à capter l'attention d'un public curieux et déboussolé. Nous savons ce que le terme « performeur » veut dire.
En 2007, Christophe Fiat est sur la scène de la salle Benoît XII pour sa lecture qui se donne en performance (ai-je juste ?), « la jeune fille à la bombe ». Sa guitare n'est pas loin pour assurer le fond sonore d'un roman paranoïaque sur notre société de surveillance. Deux danseurs l'accompagnent comme faire-valoir pour lire ce roman délirant sur le terrorisme et les femmes. Une soprano fait frissonner le public dès qu'elle chante, mais doit lire la plupart du temps les chapitres de ce roman de science-fiction que refuserait même de filmer David Lynch.
Le tout dure deux heures (dont une où l’on nous parle de dos…). La scène finale où le groupe quitte la scène pour nous laisser écouter une chanson très “fuck attitude” est à l'image de cette performance : vide.
Une vidéaste filme pendant deux heures la chose. J’espère qu’elle n'oubliera pas de la diffuser sur « Daylimotion »  pour que l'on se marre un peu.
Dominique A n'a jamais été invité au Festival d'Avignon.

Au Festival d’Avignon, “Claire”, vachement lourd…

?
Alors qu'une vidéo projette sur les comédiens un troupeau de vaches, une spectatrice ose faire « meuh, meuh? ». « Claire » de René Char, mise en scène par Alexis Forestier, finit par agacer une partie du public, lassé par tant de prétentions. Comme avec Frédéric Fisbach et ses controversés « Feuillets d'Hypnos », Alexis Forestier pense jouer René Char en ajoutant de la poésie à un texte qui n'en manque pas. À ce jeu-là, il faut avoir beaucoup de talent, illustrer le texte par une puissante présence d'acteurs « poètes » et utiliser avec parcimonie la métaphore pour ne pas alourdir le propos. Ici, rien de tout cela. « Claire » est une juxtaposition de scènes où les guitares saturent, les corps s'affaissent dès que l'on s'improvise danseurs. La scénographie (lumières, décors, mouvements sur le plateau) est incapable de restituer l'atmosphère particulière portée par la figure symbolique de Claire, femme et rivière à la fois. Le plus troublant est le jeu des acteurs plus proche d'une thérapie de groupe que d'une troupe de théâtre ! Comme avec Fisbach, les mots de René Char sont systématiquement appuyés par des effets de scène provocants, lourds, grossiers : plus c'est beau, plus les acteurs en font trop. À ce rythme, je perds le texte de Char, le contexte dans lequel il a été écrit (la résistance) et je finis par me concentrer sur le pianiste, seul musicien manifestement habité par la poésie. Ce texte est vache, mais je suis fatigué d'être pris pour un mouton.

Au Festival d’Avignon, Char écrasé, Fisbach dissocié, public complice.

? J'arrive dans la Cour d'Honneur. Le choc. Alors que le public s'installe comme si de rien n'était, je scrute le décor des « Feuillets d'Hypnos » de René Char mis en scène par Frédéric Fisbach avec angoisse et déjà colère. Imaginez, un long loft, quasiment dessiné par la production de TF1, sur la scène d'un lieu mythique. Cette imposante baraque, avec ses appartements, sa place, ses petits gra
dins, envahit toute la cour. Fisbach se fout du passé. Il l'écrase de sa suffisance et de son bon droit d'artiste associé du Festival d’Avignon, à l'image d'un directeur des programmes d'une chaîne publique qui n'a que le vocable « audimat » comme argument. Mais personne autour de moi pour s'en émouvoir. J'ai envie de vomir. La suite va confirmer mon dégoût?
Deux centre trente-sept feuillets, poèmes, de René Char se mettent en scène dans cette ambiance trash. Les comédiens dégueulent leurs mots (mention toute particulière à Nicolas Maury, caricature de lui-même), gesticulent, prennent une douche, aboient. Ils déconstruisent les vers de René Char, les rendent quasiment incompréhensibles. Une entreprise de démolition est en marche. René Char, l'enfant du pays, le résistant est ridiculisé, avec l'accent. Je commence à protester. À côté de moi, la clameur monte, mais la présence des proches des amateurs nous empêche d'aller plus loin. Certains partent bruyamment en imitant le bruit des bottes?Quarante-cinq minutes qui font honte au théâtre français, mais toujours aucune manifestation d'un public que l'on a connu bien plus sévère en 2005, lors des spectacles de Jan Fabre.
Après ce premier carnage, une centaine d'amateurs disséminés dans les gradins atteignent la scène. Ils l'occupent pour mieux noyer ces comédiens. L'effet masse est impressionnant. Les textes retrouvent leur consistance malgré les quelques happenings déplacés de la troupe de Fisbach. Soudain, la fumée envahit les pièces du loft, le lieu même où un homme nu prenait sa douche, où une femme se maquillait quelques miniutes auparavant. Fisbach simule les chambres à gaz. En l'espace d'une heure, il transforme le décor pour manipuler l'histoire à sa guise, utilise des amateurs pour revenir au théâtre, enferme le public dans la passivité (comment peut-il protester alors qu'il est métaphoriquement sur scène ?). Resister aurait été de descendre, de monter avec les amateurs pour mettre fin à cette mascarade. Nous sommes plusieurs en avoir envie mais le courage nous manque. Lors des applaudissements complaisants d'une partie du public, alors qu'une autre reste silencieuse comme sidérée, je me dirige vers les comédiens pour leur tendre un poing vengeur (« c'est une honte »).
Je quitte la cour. Je repense aux leçons de résistance données par Edgar Morin dans l'après-midi lors du « Théâtre des Idées » devant un nombreux public. Je pense à son sourire, à sa pensée lumineuse. Je l'imagine aux côtés de René Char. Mais j'ai mal partout. Deux amis me rejoignent dans un café. Miracle du Festival, nous entamons un débat avec un couple d'Allemands. Ils sortent de la Cour d'Honneur. Ils y ont vu une « bonne lecture publique » (Fisbach perd son statut de metteur en scène !), s'attristent sur les chambres à gaz, saluent les amateurs pour avoir procuré du corps au texte. Nos échanges sont beaux, lumineux. Edgar Morin est là,presque parmi nous.
Monsieur Fisbach n'existe déjà plus. Il peut ranger son loft. Il n'aura même pas les honneurs de l'histoire. Juste la honte de l'avoir bafoué.

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Tous les articles du Festival “in” d’Avignon: les belles déconstructions.


Le beau manifeste de Novarina au Festival d’Avignon.

????? Valère Novarina investit la Cour d'Honneur. Le décor surgit des catacombes du Palais des Papes (pyramides ouvertes, presque taguées, et brèches béantes). En m'installant, je suis intimidé, comme si cette cour m'imposait son mythe. Elle m'assagit et m'enlève les mots de la bouche. Justement, avec « L'acte inconnu » de Valère Novarina, les mots sont sur scène et forcent mon écoute, requiert ma totale disponibilité. Je le suis, car la première heure est un enchantement, un hommage à l'écriture, au théâtre, aux acteurs, au spectacle vivant, au public, au Festival d'Avignon, à la Cour. Douze comédiens, vingt-deux accordéonistes, un « ouvrier du drame » content les mots surgis de notre imaginaire d'enfant, de notre folie d'adulte, de nos inconscients collectifs. Il n'y a rien à comprendre (quelques spectateurs, décidément très impatients cette année, s'en vont) mais tout à ressentir, à voir. Valère Novarina nous invite à lâcher prise, à perdre le contrôle de la situation pour se laisser guider par ces artistes hors pair (mention spéciale à Dominique Pinon, exceptionnel). J'écoute sans relâche l'histoire des mots, la naissance du comédien. Je ressens comment le théâtre a participé à la survie de l'humanité. Ce soir, il est une évidence. Avignon fait résonner le théâtre comme jamais, au moment où la France s'est donné un Président peu porté sur la chose. Car « L'acte inconnu » est une ?uvre politique qui fait du spectacle vivant le vecteur du sens. Il est incontournable. Il s'impose.
Vous ne pouvez pas vous imaginer à quel point Novarina fait du bien, libère le rire, permet aux corps de se dégager des contingences sociales. Il réhabilite le spectateur, tenté par d'autres formes artistiques, qu'il retient par la main !  Entre théâtre de rue, cirque (pour l'ambiance !), ballet (pour les envolées), opéra (pour dix minutes hilarantes, à en pleurer), mime, performance (pour clamer à ce point un texte aussi décomposé), il réussit à relier tout ce qu'il nous a été proposé précédemment par les trois artistes associés du Festival (Thomas Ostermeier, Jan Fabre, Joseph Nadj). Il leur rend hommage en déconstruisant les mots, en poétisant le théâtre, en le modernisant par cette mise en scène décomplexée (mot tant à la mode, mais sincère ici). Novarina est à l'écoute de ce qui se dit, se joue en Avignon et ailleurs. Il remet tout en perspectives là où d'année en année, le spectateur se perdait dans le foisonnement des formes. Les mots sont de retour, mais autrement. C'est l'une des plus belles réponses au désarroi de juillet 2005, où certains journalistes proclamaient la mort du théâtre.
Malgré tout, cette reconstruction du langage peut parfois lasser le public notamment lorsque Novarina introduit la philosophie ( les mots retrouvent leur agencement classique dans un français quelque peu ampoulé). La pièce flotte et l'ensemble se désarticule comme si la magie n'opérait plus.
Il est alors le philosophe qui abuse la scène. En profite-t-il trop ? L'ennui est perceptible dans la Cour d'Honneur et la pièce s'étire en longueur. Entre déconstruction et reconstruction, Novarina se perd à l'image d'un final plus chaotique qu'autre chose. N'est-ce pas le signe que tout reste ouvert, possible ?
« L'acte inconnu » est un acte de résistance au nivellement par le bas de notre société médiatique. C'est un pied de nez à cette société du divertissement qui envahit toujours plus le « Off »  et polluent nos antennes.
Vous ne pouvez pas vous imaginer à quel point « L'acte inconnu » fait du bien?

Le percutant festival de Sasha Waltz.

?????? Les hangars (toujours aussi hideux) du parc des expositions d'Avignon accueillent « Insideout » de la chorégraphe berlinoise Sacha Waltz. Perdu au sud de l'agglomération, cet endroit (vestige du pire de l'architecture française) sied parfaitement à l'une des propositions inoubliables de cette 61e édition : l'écrasement du laid par vingt danseurs, dix musiciens, une nouvelle ville à l'intérieur du bâtiment avec ses escaliers, ses guichets, ses annonces sonores (il est interdit de penser, de…), ses pièces, ses jardins suspendus, ses prisons, ses places publiques, ses plages, ses chambres froides. Une ville nouvelle dans un édifice construit dans les années soixante. La création dans du moderne vieillisant. Le festival de Sacha Waltz dans le Festival d'Avignon. Les spectateurs dans l'acteur, l'acteur dans le spectateur. Vous l'aurez deviné, point de gradin, ni de haut vers le bas et inversement, mais vive la circularité, le mouvement, la construction de son propre spectacle.
En arrivant, un homme me confie en anglais une lorgnette ; je ne comprends strictement rien. Mais à quoi sert-elle ? Pour voir quoi ? Scruter qui ? Je m'avance ; un bruit du tonnerre. Des pièces partout, danseurs à terre. Je suis immédiatement happé par un jeune homme, enfermé, assis, qui parle à travers la vitre. Son corps se plie, se déplie. Je l'observe, ému : il est beau même enfermé. Voyeur, j'aimerais changer la donne, casser la vitre, le libérer de cet espace. Tout est posé : Sacha Waltz, à partir des différents tableaux auxquels je vais assister, travaille mon positionnement, mon lien à la culture, à la danse, à l'autre, à l'Autre. De l'observateur passif, je deviens le spectateur actif. C'est ainsi que l'on s'étonne d'observer aussi le public se déplaçant de pièce en pièce comme il le fait au musée ou dans un grand magasin. Waltz a donc quatre-vingt-dix minutes pour transformer la donne, métamorphoser le lien, pour que spectateurs et artistes créent, par la rencontre, l'?uvre collective. Elle nous donne les ouvertures, les fentes ( !), les passerelles et le stress pour pouvoir nous ouvrir, circuler, bouger, changer, renaître, abandonner, imaginer, revenir, perdre la tête, pleurer, rire, passer son chemin ! Elle nous propose d'entrer en résonance avec l'histoire des artistes par une proximité quasi corporelle, par l'émotion que procurent ordinairement de vieilles photos d'album de famille. Certains portent leur histoire (familiale) comme un fardeau, d'autres s'enferment dans leurs névroses. Il faut parler, relier pour ne pas se laisser emmurer. Osons nous revoir dans l'intergénérationnel, réinterrogeons notre passé commun !  
Et c'est toujours une question de regard : là où je ris, d'autres ont peur. Là où je pleure (j'ai vu le train partant vers Autchvicht où des yeux, des bras, par des tous carrés dans le mur font danser une jeune fille dont les jambes sont prolongées par des bas remplis de sable. Voudrait-elle disparaître avec eux ?), d'autres ne s'arrêtent même plus. Car Waltz joue aussi avec notre corps : il peut s'immiscer partout (ne mettre que la tête pour apercevoir, insérer la main dans des fentes, s'appuyer con
tre un mur coulissant, s'asseoir comme nous le faisions petit pour voir le théâtre de guignol). Et je marche, je marche. J'ai mal à force de rencontrer ces artistes qui me renvoient toujours une émotion, une image. Je rêve eveillé, je cauchemardise à force de violence, de sirène : Waltz nous montre aussi la société que nous produisons à force de contrôle, de consommation (que de vitrines où manequins vivants et objets insignifiants captent notre regard !). Elle arrive avec le groupe « Musikfabrik » à rendre l'ambiance sonore de nos sociétés ivres de pouvoir, de possession et de concurrence. Par ce parcours chaotique, Waltz nous invite à nous libérer de nos aliénations pour reconstruire une histoire, nous remettre dans une posture de coconstruction. Elle nous prépare, à sa façon, à repenser notre lien à l'art (qui ne peut plus être une marchandise au risque de produire de nouveaux totalitarismes), à nous interroger sur nos comportements de consommateur de tout (que laissons-nous au désir, à la frustration de ne pas avoir ?). Waltz nous met en posture de créer le mouvement là où nous avons figé névrotiquement.
« Insideout » , dedans-dehors, pascal ? pascal fils de?,  parler ? s'entendre parler, faire ? penser le faire, passé ? présent ? futur, « insideout » – festival d'Avignon ? l'art européen, ???.Tout est ouvert??.

Au bout de la nuit du Festival d’Avignon, le voyage clandestin de Dieudonné Niangouna.

????? 23 heures, au Jardin de la rue de Mons. On croirait entendre le refrain d'une chanson de Barbara comme si le moment et le lieu étaient propices aux rencontres les plus improbables entre un artiste et un public. C'est ce lieu magique qu'a choisi Dieudonné Niangouna, auteur et metteur en scène congolais, pour ce monologue d'une heure, « Attitude Clando ». Assis entre des spectateurs belges et un artiste africain, je ressens avec bonheur mon statut de festivalier et de bloggeur comme si notre présence dans ce jardin était un acte d'amour, mais aussi de résistance face aux propos nauséabonds du pouvoir politique en place à l’égard des clandestins.
 Il arrive du fond du jardin et se place au centre d'un espace scénique composé de charbons ardents. Une petite lumière le surplombe et éclaire délicatement son visage. Il est le clandestin dont tous les médias parlent. Il est ce clandestin dont nous sommes le spectateur impuissant de son improbable histoire d'amour avec Cécile, la fille du médecin. Il est ce clandestin dont la trajectoire complexe résonne hors des murs de ce centre brûlant de rétention et qui s'arrête net, sans bouger, devant nous, pour clamer sa colère et sa force de vivre. Il est ce clandestin que nous refusons de voir, préférant le cacher alors qu'il sort de l'ombre.
 Tout nous sépare : il a chaud, nous avons froid ; nous voyons clair, la fumée envahit sa vision ; sa terre est rouge bouillante, mon sol est doux comme du sable ; il est noir, nous sommes majoritairement blancs.  Il est donc ici, celui que nous renvoyons par avion et qui n'a jamais l'opportunité de nous dire à quel point l'humiliation continu en ce lieu et là-bas, que l'amour rend fou là et ailleurs. Nous l'écoutons, car sa voix porte, son corps ne rompt pas, son regard voit loin et haut. Il est beau et son histoire, dans sa construction chaotique, ne sera jamais la nôtre : aucun d'entre nous ne sera clandestin au Congo, mais nous sommes lui et nous un bout du patrimoine de l'humanité. Alors que les lumières s'allument, deux spectateurs (plutôt âgés) lui jettent au visage les coussins posés sur les bancs. Dieudonné Niangouna semble désarçonné pendant que le public, stupéfait, applaudit de plus en plus fort. Comment ne pas voir derrière ce geste d'une violence inouïe, la résonance d'un texte qui bouleverse au-delà du raisonnable. Et si Dieudonné Niangouna avait fait du clandestin une figure de l'acteur à deux pas du Musée Jean Vilar ?
Minuit, au Jardin de la rue de Mons : magie des lieux?

Au Festival d’Avignon, Galin Stoev rejoint le monde des éphémères.

????? ?Genèse n°2?, par le Bulgare Galin Stoev, restera l'une des belles surprises du Festival d'Avignon. J'avais fait la connaissance de cette petite troupe à Marseille au printemps dernier pour ?Oxygène? où j'avais pu remarquer le potentiel (chaotique) créatif de ce collectif européen (composé de Belges, français, suisses) où déjà leur lien avec l'auteur russe Ivan Viripaev était prometteur. Aujourd'hui, Galin Stoev a mûri dans sa mise en scène, accompagné par trois acteurs magnifiques. C'est donc un jeune théâtre européen, ouvert vers la Russie, incluant trois musiciens sur scène et jouant avec la vidéo comme prolongement du texte. Ce processus d'ouverture alimente en continu cette pièce puisqu'elle est le fruit d'une rencontre entre Ivan Viripaev et Antonia Velikanova, patiente schizophrène. Elle lui a confié un texte, à lui d'y ajouter ce qui lui semble bon (il insère des extraits de leurs correspondances, des chansons comiques).
Le résultat est époustouflant! Imaginez Dieu, la femme de Loth et le prophète Jean embarqués dans un combat de mots et de corps pour connaître enfin la vérité: qu'existe-t-il après la mort? À cette question se greffent en musique de fond, les rapports d' Antonia Velikanova avec son médecin (Arkadii Ilyitch, nom qu'elle donne à Dieu dans son roman!). Nous sommes ainsi propulsés à plusieurs niveaux de lecture en même temps auxquels faudrait ajouter notre lien personnel à la religion, à l'au-delà. C'est toutes ces imbrications qui font de ?Genèse n°2? un petit bijou théâtral où le jeu magnifique de Vincent Lécuyer (
Arkadii Ilyitch) emporte tout sur son passage. Au delà du lien à Dieu (finalement, est-il au centre de tout?), cette oeuvre nous embarque (spatialement?!) dans la schizophrénie où la religion tient une place de choix. La mise en scène épouse les contours de cette maladie comme le ferait un peintre face à son modèle: elle met en relief le rapport à Dieu, dessine en arrière-plan les liens verticaux entre le médecin et sa patiente, pose ici et là des touches de poésie. Le tableau s'anime tel film de cinéma en trois-huit, éveille notre regard d'enfant (l'imaginaire comme réponse au sectarism
e religieux), nous plonge dans la douce musique de la déconstruction des mots.
On se prend nous aussi à rêver d'un autre monde et d'embarquer dans leur navette spatiale. La destination, certains d'entre nous la connaissent déjà: et si Antonia Velikanova était de la planète des éphémères, si chère à Ariane Mnouchkine?
Attendez-moi, j'arrive…

Au Festival d'Avignon, Eléonore Weber rend le théâtre vivable.

?????
C'est la jolie surprise du début du Festival ! À la Chapelle de Pénitents Blancs, Éléonore Weber, cinéaste, auteure et metteuse en scène, nous propose « Rendre une vie vivable n'a rien d'une question vaine ». Ils sont quatre, la trentaine, filmés par un vidéaste, invités à se mettre à nu, entre confidences intimistes et chroniques sociales. Je les imagine facilement se retrouver en fin de journée ou un samedi matin au café du coin dissertant sur leur questionnement du moment, centré sur le « moi je » à la recherche d'un « nous » porteur de sens.
Ils sont perdus : cela se voit, se ressens. Ils cherchent leur identité (sexuelle, mais aussi politique) en phase avec une époque où l'incertitude construit le chemin (c'est peut-être pour cette raison qu'ils se révèlent profondément attachants). Ils sont drôles dans leurs recherches, touchants dans leur fragilité, beaux quand ils s'effleurent avec l'air de ne pas y toucher. Au delà des mots et des gestes, Éléonore Weber évoque cette génération sacrifiée sur l'autel de l'idéologie prônée par le Medef (l'amour selon Laurence Parisot est répété comme un slogan publicitaire) pour assurer la pérennité du capital des « baby-boomers ».
Certes, ce n'est pas un cri de révolte, mais juste un regard posé avec délicatesse et fermeté sur des femmes et des hommes fermés dehors mais ouverts dedans (à moins que cela ne soit l'inverse). La vidéo apporte (enfin) une belle touche artistique : elle accentue leur fragilité, leurs corps presque lisses, leurs regards fuyant le groupe tout en s'appuyant sur un détail du corps de l'autre. Sur scène, ils cherchent la communication, tombent ou mettent le masque, jouent leurs désillusions et leur soif d'amour qui les maintient debout. On pourrait s'étonner de la vacuité de leur propos, mais je suis touché par cette mise en espace des sentiments individuels et collectifs. Éléonore Weber révèle ses comédiens (tous exceptionnels avec une mention toute particulière pour Joano Preiss, magnifique) par un jeu de déplacements subtils où le pas de l'un entraîne celui de l'autre, où s'habiller pour se déshabiller est un geste chorégraphique. La dernière scène où chacun tente de s'en sortir quand tout est en concurrence, est le point d'orgue de cette pièce étonnante telle une performance, fragile comme une danse.
On quitte ce quatuor avec regret (comment oublier Mathieu Montanier, grand corps presque malade), soulagé d'avoir fait une belle rencontre dans ce festival, curieux sur leur avenir, intéressé sur les prochaines propositions d'Éléonore Weber.
Ce n'est pas vain d'aimer les artistes.

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Tous les articles du Festival “In” d’Avignon: les sublimes engagements.

Avec “Les Ephémères” au Festival d’Avignon, tout devient possible.

??????  Sous un soleil de plomb, nous arrivons à 14 heures, au Parc des expositions de Chateaublanc, au sud d'Avignon. L'endroit est laid, angoissant, à l'image d'une ville désertée après un bombardement radioactif. En franchissant l'entrée, nous ressentons déjà que la troupe du Théâtre du Soleil a investi le lieu pour retrouver, après douze années d'absence, le public du Festival d'Avignon. La crise des intermittents de 2003 avait annulé les représentations du « dernier Caravansérail » malgré l'obstination d'Ariane Mnouchkine à vouloir poursuivre le Festival. Je me souviens de son intervention décalée sur France Inter comme le souvenir d'une rupture entre elle et moi, entre elle et la communauté culturelle. Son retour en 2007 signe les retrouvailles avec l'intégrale des Éphémères en deux recueils de trois heures chacun. Toute la troupe est là, investissant différents hangars d'où s'échappent déjà des odeurs de grillades. À l'intérieur, c'est un beau décor entre cirque et théâtre qui nous accueille. La petite scène ovale est entourée de gradins illuminés par des loupiottes. Elles s'allumeront parfois au cours du spectacle, témoin de notre présence et métaphore de notre émerveillement.
J'arrive grippé (38° au compteur), épuisé par les deux spectacles de la veille (Waltz, Garcia) : comment ne pas flancher ? Le Théâtre du Soleil va donc réaliser l'impensable : m'aider à tenir debout jusqu'à 22h30, sans faillir (ou presque!) passant de l'hypnose à la distance, des pleurs au rire, de moi, à nous, à eux, vers l'humanité. À 22h30, le public d'Avignon fait un triomphe de vingt minutes à cette troupe hors du commun. « 
Les éphémères » sont un cadeau, un joyau du théâtre populaire. Deux jours après, en écrivant cet article, toujours la même émotion. Ça monte?
Sommes-nous seulement au théâtre ? Pas si sûr, alors que défilent différentes scènes, toutes jouées sur des minuscules décors sur roulettes. L'ensemble vous projette quasiment au cinéma (quand un tableau se termine par la gauche, un autre déboule par la droite). Tout semble millimétré comme pour signifier la fragilité de l'équilibre social, et la force du lien familial, intergénérationnel et collectif. Le premier acte campe les personnages (à eux tous, ils formeraient un quartier d'Avignon !) dans leur solitude affective, dans leur précarité, leur vulnérabilité psychologique. Les dialogues sont minimalistes, les scènes se jouent sur de minuscules espaces où la lenteur des mouvements évoque une longue plainte compationnelle. Sidérant. Émouvant jusqu'aux frissons comme une caisse de résonance qui entamerait son travail de l'intérieur. Le deuxième acte s'ouvre au collectif (souvent familial), s'éloigne de la complexité des individus, et s'attache à décrire des situations. Les deux derniers actes créent la dynamique, mettent en relief les problématiques, relient les scènes les unes aux autres pour créer une fresque humaine où nous sommes inclus à chaque instant.
« 
Les éphémères » donnent à chaque spectateur un bout de son histoire que Mnouchkine restitue avec génie. Elle produit le mouvement pour que notre inconscient soit de la partie, pour que chaque tableau soit une résonance. Chaque scène concentre l'émotion, mais la scénographie n'oublie jamais de laisser de l'espace pour que le lien entre eux et nous puisse opérer. « Les éphémères » serait le génogramme vivant de chaque spectateur tant nous pouvons retrouver ce qui nous constitue (notre histoire familiale, nos valeurs, nos mythes fondateurs). Mnouchkine nous aide à grandir en nous replongeant dans les petites attentions de l'enfance, celles-là mêmes que nous aurions perdu, mais que nous revivrons une fois vieux. Elle nous permet de dépasser nos jugements de valeur en plaçant tous les gestes de la vie quotidienne dans un contexte plus large car toujours relationnel.
Mnouchkine remet la problématique sociale au centre de tout, de notre regard, à l'heure où notre société la fragmente plus que jamais. Tous les personnages sont la France d'aujourd'hui dans ses fractures les plus intimes que la société éclatée révèle, mais étouffe dans les non-dits. C'est une pièce d'avenir, car les enfants sont omniprésents. Elle redonne une puissance aux petits gestes quotidiens (apprendre à faire du vélo à un enfant) pour leur donner une force politique dans un contexte ou le chacun-pour-soi fait loi.

« Les éphémères », c'est l'univers de l'infiniment petit pour devenir grand.

Warlikowski met fin au « silence des hétérosexuels » lors du Festival d'Avignon.

?????? La cour du lycée Saint-Joseph accueille Krzysztof Warlikowski, pour « Angels in América I et II ». Ce metteur en scène polonais, habitué du festival d'Avignon, est un réconciliateur. En 2005, au c?ur de la tourmente provoquée par l'artiste associé de l'époque (Jan Fabre), « Kroum » avait fait l'effet d'un baume apaisant. Aujourd'hui, il revient pour nous conter le roman de Tony Kushner sur les années sida dans l'Amérique de Reagan. Cette tragédie fait trembler les murs et les gradins, réveille le mistral glacial, et résonne dans cette France décidément bien trop calme.
En juin dernier, le Festival Montpellier Danse s'interrogeait et commémorait les victimes: comment le sida a-t-il influencé la danse ? Quel rôle joue-t-il aujourd'hui ? Comment alerter l'opinion publique sur le drame qui secoue l'Afrique ? Avignon prolonge le débat en inscrivant l'épidémie à l'articulation du politique et de l'intime. Curieuse coïncidence tout de même au moment où l'équipe de Sarkosy, néolibérale et puritaine, brouille les cartes, abat les cloisons pour clore les controverses et marginaliser un peu plus ceux qui pensent différemment. Le théâtre de Warlikowski est donc une bouffée d'oxygène qui repositionne la marginalité au c?ur du progrès social, du processus créatif et invite les hétérosexuels (majoritaires) à cesser de considérer l'homosexualité à partir de leur moralité, qu'ils reconnaissent au Sida sa dimension sociale, politique et culturelle. Ces 5h30 donnent à cette tragédie les images d'un film de David Lynch, les métamorphoses d'un Roméo Castellucci, les rythmes d'un Joël P
ommerat. Warlikowski réunit mes références théâtrales, incarne mon histoire face au sida dans le jeu exceptionnel des acteurs pour la restituer en fresque vivante.
Deux hommes s'aiment ; l'un est atteint du sida, l'autre pas. Plus loin dans la ville, un couple se déchire : l'un est attiré par les ballades dans les parcs pour y observer les hommes, l'une prend des cachets dans l'attente d'avoir un enfant. À côté de ces amoureux transits, un avocat, proche de l'équipe Reagan, a le sida qu'il dissimule en cancer, hanté d'avoir plaidé la peine de mort pour Ethel Rosemberg. Tous les acteurs de cette tragédie sont reliés, mais profondément isolés dans leur souffrance. Ils sont des marionnettes manipulées par les oligarchies religieuses, enfermés dans les jeux de leur caste professionnelle, prisonnier de leur idéologie. Qui tient les fils ? Comment s'en échapper ?  
C'est là que Warlikowski démontre toute la puissance de son art : guérir du « sid'amour », c'est ouvrir les espaces de dialogue, libérer les peurs, tisser des liens de solidarité, laisser la place à l'inconscient pour qu'il fasse son travail d'introspection et de réparation. A l'image de l'unité de lieu (grande pièce aux murs argentés, au mobilier d'un ancien pays communiste, à la fois salle d'église et de réunion du parti) qu'il transforme en chambre d'hôpital, en pays imaginaire de l'Antartique, en coulisse de la mort pour mieux relier, élargir là où le sida enferme, cloisonne, tue à petit feu. La mise en scène de Warlikowski est une approche politique face à une maladie réduite par les hétérosexuels à la sphère de l'intime. Elle met en mouvement le lien que les malades ont tissé avec leurs proches: dire, mais pas tout, suggérer pour éviter le voyeurisme, donner du sens à l'inacceptable pour préserver la vie. Warlikowski a tout compris de cette maladie, de sa complexité, mais aussi des enjeux sociétaux : ce sont les minorités qui enclenchent le changement. Il ne simplifie rien, mais ouvre en permanence jusqu'à la scène finale où tous les acteurs assis face à nous, dissertent sur le sens de la vie, nous aident à nous réapproprier la question du sida, facilitent le passage de la fiction à la réalité (l'histoire est toujours en ?uvre avec ce virus).
Deux jours après, une spectatrice me confiera : « il ne faudrait pas réduire « Angels in América » à une pièce sur les homosexuels ». Qui lui parle de réduire ?

“Le silence des communistes” illumine Avignon et la gauche.

?????? Comment se remettre du voyage au long cours des «Éphémères » de Mnouchkine proposé hier par le Festival d'Avignon ? Par un curieux hasard de la programmation, « Le silence des communistes » dans une mise en espace de Jean-Pierre Vincent poursuit le travail entamé la veille ! Quelle ?uvre ! Emu jusqu'aux larmes (encore?), je me lève pour applaudir ce trio d'acteurs exceptionnels (Gilles David, Melania Giglio, Charlie Nelson) en étant conscient d'avoir assisté à un moment inoubliable du festival, mais aussi d'avoir vécu un tournant dans ma vie d'homme de gauche.
« Le silence des communistes » est un ensemble de lettres échangées entre des militants de la gauche italienne. L'un d'entre eux, Vittorio Foa, interroge deux de ses camarades sur leur silence à propos de la disparition de leur parti et plus généralement sur l'époque où le PCI est une force politique incontournable en Italie. Rien n'est esquivé, mais tout est posé avec panache, respect et sincérité. Gilles David incarne Vittorio Foa avec la puissance qui sied à ce personnage. Il est pour l'instant seul et se tient dans un coin, assis à une table de bistrot. Il se lève pour venir au centre de la scène, quasiment dans l'ombre pour nous fixer dans les yeux. Dans ce déplacement a priori anodin, Vincent interpelle avec délicatesse le public, comme pour l'inclure dans ce questionnement et l'interroger lui aussi sur la disparition du PC en France et sur la faiblesse de la gauche en général. Tout au long de la représentation, ces aller-retour entre les extrémités de la scène et son coeur se poursuivront pour maintenir magistralement ce « pas de côté » qui nous autorise à lire l'avenir de la gauche française à partir de la situation italienne. L'Europe est vivante, Vincent la met en mouvement.
L'arrivée de Melania Giglio dans le rôle de Miriam Mafai apporte les premières réponses. Elle interroge tout autant la doctrine passée du Parti que son rôle dans le déclin. Son engagement féministe transparaît et l'on sent chez cette femme une détermination à persévérer, à reconstruire la gauche sur d'autres bases. Elle entend, comprend les changements induits par la globalisation. Loin de la rejeter, elle intègre la nouvelle donne pour définir un nouveau paradigme. Sa voix, son corps, ses gestes traduisent ce changement. Je ressens la force de cette quête de sens. À l'issue de sa réponse, elle s'assoit, dos au public, lettres à la main, pour écouter le dernier protagoniste de cette épopée intellectuelle.
Charlie Nelson arrive et campe avec discrétion le personnage d'Alfredo Reichlin. Il ouvre le questionnement, pose de nouveaux enjeux avec la grâce d'un félin. On sent qu'il commence à tisser la toile entre ces trois personnages allant de l'un vers l'autre à l'image d'une maïeutique.
C'est à ce moment précis que Gilles David reprend la main, reformule, énonce les problématiques (ouvertes, questionnantes, complexes, incertaines, créatives, ?).
La gauche renaît, là, sous mes yeux, au Festival d'Avignon. Je suis loin du sectarisme du Parti Socialiste, je ressens la pensée du sociologue et philosophe Edgar Morin, j'entends les termes posés par Ségolène Royal et François Bayrou. J'en tremble tant j'éprouve l'impérieuse nécessité de poursuivre leur débat (qu'ils jouent en dix secondes et provoquent le grand éclat de rire final du public !). La force de la mise en scène c'est de l'avoir inscrite dans cette salle (à Champfleury, où la déco est en phase avec l'ambiance d'une cellule du parti !), à distance du centre-ville comme pour mieux métaphoriser l'urgence de prendre du recul suite à la victoire de Sarkosy. C'est aussi d'avoir positionné le théâtre comme médiant entre les politiques et nous-mêmes, pour mieux signifier que sans la culture, les penseurs et les chercheurs, la refondation de la gauche est impossible. Jean-Pierre Vincent est donc passé à l'acte. Avec brio, justesse et talent. Que ces quelques mots puissent le remercier.
Il y a décidément des silences qui en disent long?

Le corps à vif de Julie Guibert.
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A 11h40, dans le jardin de la vierge du lycée Saint-Joseph, la danseuse Julie Guibert provoque la sidération. ?Le Sujet à vif?, manifestation chorégraphique au coeur du Festival d'Avignon, sauve ainsi sa piteuse programmation. Remarquée dans la dernière création de Christian Rizzo à Montpellier Danse, « B.c, Janvier 1545, Fontainebleau », Julie Guibert propose un solo, ?Devant l'arrière pays? du chorégraphe belge Stijn Celis. Avec l'allure d'une danseuse classique, elle opère sa mue tel un manifeste féministe au pays des machos. C'est impressionnant de précisions comme si tout était préparé avec minutie pour ne pas laisser d'espace à la prise de pouvoir d'un autre. Chaque geste est habité jusqu'au bout, chaque transformation endossée avec grâce et disgrâce. Julie Guibert danse pour assumer haut et fort (elle crie sans faire de bruit) son changement.
La danse trouve sa force provocatrice, sa raison d'être alors qu'elle est quasiment absente du Festival d'Avignon. Elle surgit avec l'énergie du rock, avec la détermination d'un chorégraphe décidé à donner à cette artiste hors du commun, le meilleur de son art. Je ressens la transmission de Stijn Celis comme si son parcours habitait le corps de Julie Guibert. Ces quarante minutes résonnent comme une ode au chaos créatif.
?Devant l'arrière pays? est déjà dedans pour n'être plus en dehors.

 

Au Festival d’Avignon, Guy Cassiers for ever.

?????? Le flamand Guy Cassiers revient au Festival d'Avignon avec « Mefisto for ever » au Théâtre Municipal. « Rouge décanté » présenté l'an dernier avait étonné par la performance solo de Dirk Rooftooft et une scénographie exceptionnelle. L'acteur fétiche endosse cette année le rôle de Kurt Köpler, comédien ambitieux et sympathisant gauchiste dans le roman de Klaus Man adapté par Tom Lanoye. Nous sommes donc projetés dans un théâtre, au c?ur de l'Allemagne Nazie. Refusant de choisir son camp pour à tout prix maintenir une programmation, Kurt s'entête, s'enferme et participe à la tragédie qui va emporter son théâtre. La mise en scène provoque un écho incontestable dans l'Europe d'aujourd'hui et la France de Juillet 2007. Elle m'évoque la période où, vivant à Orange, j'ai combattu contre le Front National installé à la Mairie en 1995. Il s'agissait d'isoler la ville, de protester contre la venue d'artistes prêts à se compromettre avec un parti à l'idéologie nauséabonde. Douze années plus tard, personne n'est en mesure d'évaluer la pertinence de telles actions. « Jouer ou ne pas jouer », c'est l'éternel débat que la crise de l'intermittence en juillet 2003 a une nouvelle fois posé. Programmer «Méfisto for ever » au Festival d'Avignon est un avertissement, pris comme tel que je ne peux m'empêcher de relier au cri d'alarme (salutaire) de Pascale Ferrand, à la dernière cérémonie des Cesars. A l'idéologie nazie, se substitue la montée de l'extrême droite couplée à la diffusion rampante du paradigme néo-libéral puritain.
« Méfisto for ever » sidère car cette pièce prolonge à la fois le texte initial mais aussi guide notre regard bien au-delà ce que nous voyons sur scène. Le travail du son est exceptionnel: les comédiens (petits micros collés sur la joue) nous murmurent presque comme pour réveiller nos consciences. Quand le ministre de la propagande hurle son idéologie nauséabonde, le son ne sature jamais, mais produit un écho saisissant. Les lumières illuminent avec beauté les parts d'ombres des acteurs, métaphore de nos ambiguïtés. La vidéo, loin d'être un effet technique à la mode, prolonge la scène pour évoquer l'outil de contrôle omniprésent de nos sociétés modernes. Alors que la troupe répète Hamlet, les comédiens allongés sur des tables sont filmés en hauteur. L'image restituée est impressionnante tel une contre plongée cinématographique d'une caméra de surveillance : d'où regardons-nous cette pièce ? Un jeu dans le jeu se met alors en place : la question sur le rôle de l’art au c?ur du nazisme n'est pas une réponse linéaire, mais un enchevêtrement de questionnements. Nos statuts bougent (de « consommateur » de culture, de citoyen, de spectateur dans l'ici et maintenant) et ne cessent de se croiser au cours de ces trois heures époustouflantes de théâtre. La mise en scène de « Mefisto for ever » fascine, hypnotise par sa justesse, sa beauté et sa modernité. En effet, le texte initial de Klaus Man se prolonge alors que le rideau est baissé suite au suicide du ministre nazi de la culture. C'est alors que son remplaçant « démocrate » demande à Kurt Köpler de reprendre la programmation en contrepartie de « respecter les objectifs » de l'actuel régime. D'une idéologie à une autre, le théâtre est de nouveau confronté à de nouveaux dilemmes. Kurt Köpler est alors incapable de commencer sa phrase (“je…”; “je…”), faisceaux lumineux pointés sur ses tempes comme un révolver prêt à se décharger. Ce bégaiement est maintenant le nôtre.
Cassiers nous laisse seul avec nos questions. Comment l’art peut-il composer avec l’époque néo-libérale qui s’ouvre? Comment les Directeurs des structures institutionnelles répondent-ils et se positionnent-ils à l’égard des injonctions des politiques où les objectifs quantitatifs dictent le projet culturel ? Comment le public, par ses attentes (plus proches parfois du divertissement que de la coconstruction du sens), participe-t-il à transformer l’art en produit sensible aux effets de mode ? “Mefisto for ever” ne répond nullement à toutes ces questions, mais les provoque. Quand Chrisitine Lagarde, l'actuelle Ministre de l'Économie, recommande d'arrêter de penser pour privilégier le travail productif ; quand Christine Aubanel évoque la productivité transposée à la culture, il est urgent de définir un projet global européen qui dépasse celui d'Avignon. Le Festival pourrait être une caisse de résonance, une agora exceptionnelle. La nomination de Roméo Castellucci comme artiste associé en 2008 a de quoi laisser circonspect eu égard au défi intellectuel et politique lancé par Cassiers et tant d'autres?

Au Festival d’Avignon, “Nine Finger” clôture.

?????? « Nine Finger » est un ovni théâtral dont l'atterrissage au Festival d'Avignon s'est télescopé avec le bilan de cette 61e édition. À la conférence de presse du 25 juillet en présence des deux directeurs et de Fréderic Fisbach, un spectateur souhaitait entamer un débat sur cette pièce. Silence gêné : « on en parle plus tard si vous le voulez ». Étrange réaction et mutisme pesant d'une assemblée p
lus loquace pour alimenter la polémique sur «les feuillets d'Hypnos »?

Il est 19h10. Je suis fatigué. Les mots ne viennent pas. Le Festival d'Avignon devrait s'achever avec « Nine Finger ». J'hésite à me rendre au Palais des Papes pour « Le Roi Lear ». Je suis sonné. « Nine Finger » est si puissant que je me sens impuissant pour poursuivre.
Lui, c'est Benjamin Verdonck, acteur ? performeur flamand. Avec son short Adidas, son tee-shirt rose et sa démarche désarticulée, il m'évoque l'adulte habité par les traumatismes de l'enfance. Il se couvre de cirage noir, tel un guerrier, pour (ré)apparaître progressivement avec son visage d'enfant. C'est parce qu'il danse avec elle, qu'il se transforme?
Elle, c'est Fumiyo Ikeda, danseuse née au Japon. Elle a toujours la grâce longtemps repérée dans les créations d'Anne Teresa De Keersmaeker. Elle ne quitte pas des yeux et du corps Benjamin. A la fois, ombre et lumière, Fumiyo incarne l'idée que je me fais du pacifisme.
A deux, ils ont créé avec le chorégraphe Alain Platel, « Nine Finger », théâtre dansé sur les enfants soldats où le texte et les mouvements tissent des liens si forts que tous nos sens sont sollicités. L'interpellation du spectateur est continue comme si au chaos sur scène doit répondre la déstabilisation du public. « Nine Finger » n'a donc rien d'une pièce compationnelle censée toucher notre fibre humanitaire. À trois, ils créaient la distance (réussie), médiatise (par les objets), pour que nos affects ne puissent perturber ce que nous devons voir et toucher du doigt: l'horreur. Le micro joue un rôle essentiel pour la faire entendre : jeté au sol, sur le matelas, sur les corps, enfouis dedans pour s'immiscer et faire mal, exhibé dehors comme un trophée, il décharge en continu la haine, la déchirure intérieure, la puissance destructrice des mots. Il mitraille pour déchiqueter la part d'insouciance et de créativité de l'enfant. Il est cet outil de la société du spectacle métamorphosé en matériel militaire (l'art serait-il une arme ?). Benjamin Verdonck le tient pour ne le lâcher qu'épisodiquement. Il est un appendice, une partie de son corps qui pendouille, dégouline de sang pour éclabousser de ses cris, de ses mots. Il explose même en sourdine.
Dans cette guerre atroce, Fumiyo ne résiste pas toujours. Elle est souvent l'objet de convoitise de cet enfant. Il joue avec elle, ne sachant plus très bien la différence entre l'acte sexuel et un jeu de gosse. Cette confusion est magistralement restituée à partir de deux autres objets (un grand carton et un matelas) : tour à tour cachette, trampoline, lit conjugal, cave souterraine, tout y passe ! Mais peut-il se remettre du carnage ?  Qui est-il à la fin ? Que peut-il bien dire à Fumiyo qui, incarnant une psychologue, l'aide à verbaliser les images l'horreur ? Comment lui redonner sa part d'humanité ? C'est alors qu'elle finit par lui demander : « Que penses-tu de moi » ? Rideau.
Ce trio a réussi l'impensable : nous restituer le chaos le plus innommable. Le texte ne peut pas tout. L'intelligence, c'est d'avoir osé relier les mots à la danse non pour illustrer, mais pour nous aider à ressentir le processus qui transforme un enfant en guerrier. Nous changeons de statut : de spectateur, nous sommes les passeurs de cette expérience là. Ce chaos, de ma modeste place, je l'ai vécu. Alors même si Benjamin se remet du cirage à la fin du spectacle pour repartir à la guerre, il n'est plus tout à fait seul. Nous avons tout vu.
Aujourd'hui, nous savons.

Au Festival d’Avignon, Raimund Hoghe, encore et toujours.

?????? Pourquoi la dernière création de Raimund Hoghe a-t-elle à ce point déçu les festivaliers d'Avignon ? J'y ai pourtant retrouvé le talent, la délicatesse, et la créativité de ce chorégraphe exceptionnel. Je le connais depuis 2004, date à laquelle il présentait face au public bouleversé de Montpellier Danse, « Young people, Old Voices ». En juin dernier, Meinwärts provoquait la sidération. Depuis, il y vient chaque année comme un rendez-vous ritualisé avec les Montpelliérains. Je me sens familier de son univers fait d'objets posés sur scène, de métaphores qui s'emboîtent les unes des autres pour former le kaléidoscope de nos sensations. J'ai un profond respect pour cet artiste qui m'a familiarisé avec la lenteur des mouvements, avec l'émergence du sens par l'immobilité. Là où le public d'Avignon frissonne avec Roméo Castellucci, je tremble d'émotions pour Raimund Hoghe.
Alors, que se passe-t-il avec « 36, Avenue Georges Mandel » présentée dans la jolie chapelle des Penitents Blancs ? C'est la dernière adresse où vécut Maria Callas, seule et malade. Hoghe y voit une « sans domicile fixe » qu'il incarne en portant la couverture de la Croix Rouge, en se glissant sous des cartons. Cette détresse est traduite par des gestes délicats qui, comme dans « Les éphémères » d'Ariane Mnouchkine, résonnent chez les admirateurs de la Callas et le public sensible à la question de l'hébergement précaire. Hoghe parcourt la scène, telle la diva, à la recherche de sa gloire perdue comme le fait un SDF avec les objets qu'il trimballe, témoignage d'un passé encore vivant. Les vêtements sont une seconde peau qu'il plie avec minutie pour les déplier avec grâce et endosser un nouveau rôle. C'est ainsi qu'il enfile un imperméable (où l'on devine qu'il est nu), tels ces hommes qui miment la Callas devant la glace. Bouleversant.
Que ce soit pour la Callas ou un SDF, c'est la lenteur qui semble faire l'histoire : le processus de déchéance n'est pas aussi brutal et rapide que les médias voudraient nous le faire croire. Perdre son domicile, sa gloire, est un long processus, parfois indescriptible à l'?il nu.  C'est précisément cela qui hante les Français (plus de la moitié d'entre eux ont peur d'être SDF selon un sondage paru lors des dernières élections). Raimund Hoghe ne le traduirait-il pas à ses dépens ? Ce spectacle serait-il donc anxiogène ?
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;arrivée du danseur Emmanuel Eggermont, tel un ange, fait baisser la tension (à cet instant précis, les spectateurs ne quittent plus leurs sièges). Avec sa rose à la main, on imagine  Barbara se dirigeant vers ses admirateurs. Mais plus vraisemblablement, il incarne le public de la Callas. Nous sommes donc sur scène pour entourer Hoghe, lui redonner nos habits, pour l'inclure à nouveau. Ce moment est magnifique, car cet ange fait (trop tardivement) le pont entre lui, elle et nous.  Il libère Raimund Hoghe d'un poids mythique, et de l'angoisse générée par la pauvreté. Le dernier regard entre les deux hommes est fulgurant comme un lien indestructible entre elle et nous, entre la dénuement et la gloire (il fallait tout de même oser ce rapprochement).
Alors, oui, « 36, Avenue Georges Mandel » est un chef d'?uvre d'humanité, qui s'entend dans un lien quasi intime avec Raimund Hoghe. Je rêve qu'Avignon reconnaisse la stature de ce chorégraphe et que l'on cesse, pour se protéger, de faire référence à des clichés (que n'ais-je pas entendu ! « Il utilise le fait qu'il soit bossu », « ce n'est pas de la danse » ; « c'est un peu trop facile? »).  
 

« 36, Avenue Georges Mandel »,
« Rue de la grange aux loups »,
Paris,
Nantes,
Callas,
Barbara,
  « Chapelle des Penitents Blancs », Avignon?
 

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EN COURS DE REFORMATAGE

Au Festival d’Avignon, le Roi Lear est déjà dépassé.

file-6408-1W.jpgC'est le dernier spectacle de mon aventure festivalière. Je ne ressens pas la tristesse de l'an passé mais plutôt un soulagement comme si cette 61e édition, au parcours chaotique, finissait par me lasser, d'autant plus que « Nine Finger » vu quelques heures auparavant, m'a laissé sans voix et avec peu d'énergie. A quoi bon ce Roi Lear mis en scène par Jean-François Sivadier pour quatre heures d'un drame shakespearien ? C'est sans compter sur cette troupe qui sait fidéliser son public.
« La vie de Galilée » présentée au Festival en 2005, avait connu un joli succès d'estime au c?ur de la programmation contestée de Jan Fabre. Deux années plus tard, « Le Roi Lear » reprend les mêmes recettes : comportements d'observateurs des comédiens alors que le public s'installe ; prolongement de la scène jusqu'au fond des gradins ; positionnement inchangé des acteurs dans la hiérarchie des rôles ; reproduction quasi identique de la mise en scène. Bref, je n'ai plus qu'à me laisser aller d'autant plus que « Le Roi Lear » emprunte un peu trop (facilement) les effets du théâtre de guignol, agréables en cette fin de festival. Le divertissement est total : je ris, j'applaudis des deux mains d'autant plus que Norah Krief (le fou) et Nicolas Bouchaud (le roi Lear) portent à bout de bras le premier acte. Euphorisant !
La deuxième partie ne tient plus la distance. À la déchéance du Roi s'ajoute une scène qui se fragmente progressivement (le décor, sur roulettes, ouvre de nouveaux espaces que le jeu des acteurs peine à occuper). L'orchestre, auparavant positionné en coulisses, est visible sans que l'on en comprenne la raison. Mais surtout, Stephen Butel (Edgar) et Christophe Ratandra (une des filles de Lear) manquent cruellement de crédibilité dans leur rôle: quasiment travestis (l'un sous la boue, l'autre avec une perruque), ils assument difficilement ces transformations (jusqu'à frôler la caricature). L'ennui gagne et certains spectateurs ne tiennent plus la distance à une heure du matin. Jean-François Sivadier montre là ses limites dans le passage de la tragi-comédie à la tragédie. Il cherche, tâtonne, à l'image de ce décor roulant sur une scène glissante alors que seule la scénographie prend de l'ampleur à mesure qu'avance le drame (magnifiques jeux de lumière).
Je me surprends à me lever pour applaudir la troupe. Il est quasiment certain qu'à ce moment précis, je salue le divertissement et ma performance d'avoir réussi le pari de ce 61e Festival d'Avignon: devenir le ?spect-acteur? si cher à l'artiste associé, Frédéric Fisbach. Pour le reste, je m'étonne du décalage entre le théâtre de Jean-François Sivadier, de Ludovic Lagarde avec celui de nos voisins flamands, allemands et polonais. Il est vrai que ?Le Roi Lear? et ?Richard III? sont sûrement compatibles avec le projet de Christine Lagarde, actuelle Ministre de l’économie et accessoirement de la culture.

Pascal Bély
www.festivalier.net


?????? ?Le Roi Lear? de Jean-François Sivadier a été joué le 27 juillet 2007 dans le cadre du Festival d’Avignon.

Crédit photo: © Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon

Le bilan du 61ème Festival d'Avignon, 1ère partie : Edgar Morin, l’artiste associé.

Le bilan du 61ème Festival d'Avignon, 2ème partie : le poids des mots.

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